La guerre en réseau au XXIe siècle - Internet sur les champs de bataille
La guerre en réseau au XXIe siècle - Internet sur les champs de bataille
Résumer en quelques chapitres, brefs et concentrés la nouvelle forme de guerre en réseau qui a fait suite à la RMA (Révolution dans les affaires militaires) n’était assurément pas chose facile tant il est vrai que les écrits de synthèse manquent encore sur le sujet en français. C’est le pari qu’a tenu et réussi le directeur ; adjoint de l’Institut de relations internationales, expert en industrie de l’armement et en politique de défense.
La RMA partait du constat qui avait été fait après la guerre du Golfe, Desert storm. Il convenait de gagner à la guerre sans pour autant disposer sur le terrain d’un rapport de forces favorable. Les Américains vont donc a posteriori tenter de conceptualiser les conséquences de l’entrée en service dans leurs armées de matériels incorporant des technologies nouvelles : technologies de l’information, et de la communication, senseurs, bombes et missiles guidés qui autorisent des frappes de précision. Il revient aux fameux futurologues Alvin et Heidi Toffler de conceptualiser ce phénomène en parlant d’une guerre de « troisième vague ». Aux guerres qui reflétaient une société paysanne puis une société industrielle, allait succéder une troisième vague où les progrès technologiques, feraient triompher les armes américaines. Mais la RMA n’était encore qu’une philosophie. Elle avait certes l’avantage d’empêcher les esprits d’être statiques et les militaires de rester figés dans leurs certitudes. Il restait à définir une doctrine d’emploi, à forger un concept opérationnel suffisamment attractif pour jouer le rôle de mythe mobilisateur pour la communauté de défense qui en avait vu bien d’autres. Ce rôle revint au vice-amiral Cebrowski, qui lui donna un nom : Network Centric Warfare (NCW) qu’il employa pour la première fois à l’US Naval Institute d’Annapolis en avril 1997. Plus qu’une nouvelle doctrine militaire cette vision reflétait l’état de la société, de l’économie et des technologies américaines qui voulaient préserver leur suprématie mondiale.
L’amiral Cebroski développa son approche sur trois niveaux.
Le niveau stratégique consiste en la capacité de pouvoir contrôler le champ de bataille dans ses trois dimensions à tout moment et de pouvoir avoir une vue précise de la situation en temps réel. D’où le fait que les campagnes d’Afghanistan et d’Irak furent commandées depuis le centre de Tempa en Floride.
Au niveau tactique, le NCW repose sur la capacité de pouvoir agir rapidement c’est-à-dire plus rapidement que tout adversaire potentiel. Alors qu’il fallait quelques heures durant la guerre du Golfe entre la détection d’une cible et sa destruction, ce laps de temps fut réduit à quelques minutes lors de la guerre d’Irak, en mars 2003.
Au niveau structurel, le NCW repose sur la qualité et la quantité des senseurs ainsi que sur la capacité à pouvoir échanger très rapidement toutes les données acquises.
On voit immédiatement que l’efficacité du NCW repose entièrement sur le système de commandement et de contrôle des opérations qui soit adapté en temps réel à un champ de bataille sans limites.
Lorsque l’on examine la liste des avantages de cette forme nouvelle de guerre, tels qu’ils ont été mis en avant par son concepteur, on est frappé de voir combien ceux-ci ont été mis en œuvre en Irak.
Il devenait possible de s’affranchir du rapport de force, grâce à la vitesse d’exécution qui pose sur trois caractéristiques : une supériorité totale dans la maîtrise de l’information, des moyens de communication et des moyens d’affichage, ainsi que des capacités de modélisation et de simulation. D’où le faible nombre du contingent américain, fixé par Ronald Rumsfeld à 150 000 hommes, chiffre qui pourtant a été d’emblée critiqué par une partie de la hiérarchie militaire.
Le NCW devait permettre, par ailleurs, d’obtenir l’effet militaire maximal là, où autrefois la supériorité ne pouvait être atteinte que grâce à des forces en nombre supérieur.
La vitesse d’exécution doit conduire à la désorganisation de l’ennemi, incapable de riposter ou d’adapter sa stratégie à celle de l’armée américaine. Surclassé, sans espoir de reprendre le dessus, on attend de cet ennemi qu’il abandonne le combat très rapidement ; c’est ce qu’effectivement fit l’armée de Saddam Hussein le 9 avril 2003 après trois semaines de combat.
Cette forme de guerre impose des réformes radicales dans la structure, le format et la conduite des armées. Ce sont d’abord, résume l’auteur, les opérations interarmées (Joint Operations) : une seule armée au lieu de cinq ; ce sont ensuite les opérations basées sur les effets (Effects based Operations) ou l’approche capacitaire (Capabilities Based Approach) : le nombre ne fait pas la puissance, mais c’est surtout la Transformation : l’armée doit se réformer pour s’adapter au NCW, opération qui, on le verra en Irak, s’avérera la plus difficile. En effet si la guerre en réseau s’est bien déroulée au sommet, au niveau des états-majors intégrés, plus on descendait, de l’armée au bataillon, plus ces principes s’avéraient volatiles. Dans un de ses chapitres après avoir démontré comment le NCW a été appliqué, avec le succès que l’on sait en Afghanistan et en Irak, Jean-Pierre Maulny en montre les difficultés et les lacunes ; celles-là même qu’avaient identifiées Britanniques et Français, lorsqu’il s’était agi au vu de la guerre du Kosovo en 1999, de s’en inspirer : son coût, sa complexité et sa vulnérabilité. C’est surtout dans la période post-bataille que la guerre en réseau paraît la plus faible confrontée qu’elle est à une forme de guerre asymétrique qui se veut une réponse à la supériorité technologique américaine. Il serait alors intéressant de conduire la même analyse pour l’opération de l’armée israélienne au Liban.
A-t-elle aussi sous-estimé l’adversaire croyant que sa supériorité technologique allait l’emporter aisément sur le Hezbollah ? Jean-Pierre Maulny aborde bien d’autres aspects dans son livre et stimulant sur les effets du NCW sur les industries d’armement. ♦