La bataille de la Somme
La bataille de la Somme
On sait qu’Alain Denizot s’est déjà beaucoup penché sur le dramatique sujet de la Grande Guerre. Dans cet ouvrage, paru dans l’abondante et variée collection Tempus, il aborde cette terrible bataille de la Somme dont on parle relativement peu chez nous et qui fut pourtant, et à la même époque, exactement symétrique de celle de Verdun.
Tandis que Falkenhayn attaque en février en Lorraine, Joffre entend quelques mois plus tard prendre l’offensive en Picardie grâce à l’apport britannique. En quelque sorte, les deux affrontements majeurs vont se faire concurrence. Divisions, canons, aéronefs sont partagés entre eux dans le souci d’accentuer l’effort ici pour tenter de soulager là. Le parallèle est évident d’autant plus que, sur la Somme comme à Verdun, après l’échec initial de l’attaquant, la bataille de rupture va, pendant des mois, « évoluer vers une bataille d’usure ». Si le commandement suprême est français (au nom de « l’unité d’action », car nous n’en sommes pas encore à Doullens), et si plusieurs armées françaises sont engagées face à Péronne, l’effort principal revient aux Britanniques en direction de Bapaume. Le souvenir de la bataille reste vif outre-Manche, mais l’auteur remarque qu’elle « ne fait pas partie de la mémoire française ».
En près de deux ans, les méthodes de combat se sont modifiées. On n’attaque plus à la Grandmaison. La préparation d’artillerie, rehaussée d’obus à gaz, est intense ; l’aviation est présente dans le ciel. De leur côté, les Allemands sont devenus des as de l’organisation du terrain, grâce à un véritable « travail de castor » mené en profondeur. On reste abasourdi par l’étroitesse des zones d’action, un kilomètre par division, une progression de 250 mètres considérée comme un exploit… Tout cela est connu de Douglas Haig et de ses Anglais, mais peut-être pas totalement assimilé. Le service obligatoire n’a été institué en Grande-Bretagne que depuis peu de mois et il n’est pas insultant de qualifier les forces qui vont s’élancer « d’armée d’amateurs », en tout cas largement improvisées.
En ce jour apocalyptique du 1er juillet 1916, le Black Saturday, c’est le premier combat pour la plupart. On part en copains, après une solide ration de rhum, au son des cornemuses, les officiers canne à la main et pipe à la bouche, tandis que les Springboks poussent les cris zoulous comme au stade, tous convaincus d’occuper l’arme à la bretelle un terrain nivelé par les explosions au point que « pas même un rat n’aura survécu ». En face, les Allemands, sortant de leurs tanières font des cartons « comme à la fête foraine ». Leurs mitrailleuses font des ravages. Le résultat est hallucinant et aboutit à un « record mondial » : 30 000 sujets de Sa Majesté tombent en six minutes, on enregistre « deux morts par mètre de front ! ».
Sous le temps exécrable de cet été 1916, l’affaire s’enlise, au propre et au figuré, dans un océan de boue gluante et immonde, un cloaque où les obus s’enfoncent sans éclater, où on piétine les cadavres, où on s’égare dans le brouillard en risquant de sanglantes méprises. Joffre essaye de relancer, car Pétain et Nivelle ont gagné le devant de la scène à Verdun, Foch est considéré comme usé. On lance une « cacophonie d’attaques partielles » sans réelle coordination franco-britannique. Quelques chars font leur apparition, mais leur vulnérabilité est à la hauteur de leur efficacité. En fin d’année, on a « perdu 60 000 hommes pour gagner 45 villages et 8 bois », mais ni Bapaume, ni Péronne ne sont reprises.
Le livre comporte quatre parties de taille inégale. La description des opérations, très précise, est à suivre carte en main. Le texte consacré aux « hauts lieux du souvenir » est susceptible de guider le « tourisme kaki » autour de la centaine de ces petits cimetières militaires britanniques qui jalonnent le terrain situé à l’ouest du parcours du conducteur lancé sur l’autoroute A1. Sur le paysage désolé et sinistre d’il y a quatre-vingt-dix ans, « la nature a repris ses droits ». On consultera avec intérêt et parfois avec surprise le bilan comparatif des pertes (environ 375 000 Français à Verdun en dix mois contre 420 000 Britanniques + 200 000 Français sur la Somme en moitié moins de temps). On ne négligera pas enfin les portraits des chefs alliés, le jugement souvent critique porté sur eux, ni la remarque du sarcastique Fayolle qui résume bien le tout : « dans la guerre de siège, on n’attaque pas à égalité de moyens ». ♦