Lord Mountbatten
Lord Mountbatten
Livre passionnant, grâce bien sûr au talent de l’auteur, mais le mérite de celui-ci, habitué à évoluer avec l’aisance que l’on sait dans le milieu des grands hommes du XXe siècle, est atténué par le choix de sujets propres à captiver d’emblée le lecteur.
Fascinant, flamboyant… les épithètes se bousculent pour dépeindre ce Mountbatten. L’admiration hagiographique ne se trouve guère contredite ici que par de rares vacheries distillées de loin en loin et qui ne font que rendre le personnage plus humain : « passé maître dans l’art de présenter des désastres comme des triomphes », avide d’honneurs et de décorations, point trop intellectuel (il ne « brille pas par son talent de rédacteur » et on l’a rarement vu par courir la lecture d’un ouvrage au-delà de la dédicace). Bref, dès l’avant-propos Kersaudy lui attribue vingt qualificatifs franchement élogieux contre onze mollement péjoratifs. La cause est entendue.
Certes le fait d’avoir la reine Victoria pour marraine et d’être apparenté de près à la plupart des familles régnantes, y compris celle de son pays d’adoption (car il est allemand d’origine, Battenberg) facilite pour le moins le début de la carrière, tandis que le « mariage de l’année… voire du siècle » avec une richissime héritière ne peut qu’améliorer encore les choses. C’est dire que le train de vie sera fastueux, les réceptions brillantes, la domesticité abondante et que les loisirs comporteront plus de matchs de polo que de parties de pétanque. Pourtant ce sont bien des dons exceptionnels qui sont à l’origine d’un destin hors pair. Mountbatten fait partout preuve d’« une énergie inépuisable et d’une curiosité insatiable… sa rapidité de décision est foudroyante ». Capable d’imaginer des trouvailles dignes du concours Lépine, sportif accompli, il se montre héroïque à la barre du Kelly. À la fois exigeant et plein d’humour, il s’entoure de collaborateurs « cosmopolites et brillants » qui lui sont tout dévoués.
Le plus étonnant est un parcours en zigzag absolument unique. Animé d’une vocation affirmée, Mountbatten poursuit une carrière accélérée, mais classique, dans la marine de Sa Majesté. Midship sur un croiseur à seize ans, sous-marinier à 17 pendant la Première Guerre mondiale, le capitaine de vaisseau navigue au large des côtes norvégiennes et crétoises au début de la Seconde, avant d’accéder fort jeune aux sommets de Cincafmed, « Premier lord naval » et chef d’état-major de la défense. En toute occasion, l’activité débordante de celui qui est considéré par ses pairs comme un « enfant terrible » a dépassé de loin ce qui relevait normalement de son niveau hiérarchique. Tout cela est néanmoins, sinon banal, du moins du domaine du déjà-vu. Mais le voici en 1941 dépêché par Churchill auprès de Roosevelt et des hauts responsables militaires américains à qui il fait imperturbablement la leçon, puis en charge des opérations combinées sur les côtes d’Europe occupée (Saint-Nazaire, Dieppe…). Le plus étrange reste à venir : le contre-amiral « fraîchement promu » devient en Asie du Sud-Est un des sept commandants suprêmes alliés, au même titre qu’Eisenhower ou Mac Arthur. C’est lui qui, après la reconquête de Mandalay et Rangoon, reçoit à Singapour la capitulation du maréchal japonais Terauchi. Admis dans l’ordre de la jarretière et fait chez nous grand-croix de la Légion d’honneur, Mountbatten s’apprête à rentrer dans le rang, mais une autre fonction l’attend… celle de vice-roi des Indes.
C’est dans ce poste aussi somptueux que périlleux qu’il va donner toute sa mesure. Conscient dès l’abord de la difficulté de retourner au statu quo, il établit rapidement des relations de confiance avec Gandhi et Nehru, lance l’idée d’un dominion au sein du Commonwealth et se résout au partage. Retrouvons là Lapierre et Collins dans « Cette nuit la liberté », les épouvantables massacres, les récriminations sur le tracé frontalier avec le Pakistan, le problème quasiment insoluble du Cachemire, la répartition des biens digne d’un inventaire de Prévert. Mieux, débordés face à une indépendance difficilement maîtrisable, les nouveaux gouvernants indiens se tournent vers Mountbatten. Le dernier vice-roi devient alors le premier gouverneur général et met de l’ordre dans un pays à feu et à sang avant de rejoindre à la mer un poste « relativement subalterne » où, une fois de plus, la plupart de ses supérieurs du moment sont également ses anciens subordonnés !
Et dans tout cela, que devient la jeune épouse de 1922 ? Eh bien, Edwina est indissociable, sa participation et son dévouement sont sans limite. Tandis que le très bel homme qu’est « Lord Louis » accumule les conquêtes féminines et, familier d’Hollywood, courtise Shirley Mac Laine, elle donne de sa personne dans tous les sens du terme en multipliant les amants, jusqu’au plus inattendu mais sans doute le plus important, Nehru en personne ! Ce curieux couple vit dans un mélange de tolérance, de solidarité et aussi de « jalousie maladive ». Lorsque Edwina meurt, elle laisse un « veuf inconsolable ».
L’itinéraire du retraité présidant 45 associations et prononçant trois discours par jour est interrompu par l’ignominieux attentat irlandais. Libre au lecteur chagriné d’évoquer en rêve des analogies tragicomiques indochinoises ou algériennes. ♦