Benoît XVI, en prélude à son discours de Ratisbonne et au grand dam des musulmans, a cité un extrait d’un dialogue mené, en 1391, par l’empereur byzantin et un lettré persan. C’est ce dialogue que l’on commente ici. On le met en parallèle avec un autre, tout moderne celui-là et dont la publication a été couronnée du prix littéraire de la « Saint-Cyrienne ».
Parmis les livres - Benoît XVI, le Mudarris et le Basileus
Le discours de Ratisbonne a fait grand bruit chez les musulmans. Leur indignation bruyante le fit connaître aux « chrétiens » qui, sans elle, y eussent été indifférents. C’est que le discours est ardu. Il fut prononcé le 12 septembre 2006 devant des universitaires, situation qui rappelait à Benoît XVI l’activité enseignante dont on dit qu’il garde la nostalgie. De là vient peut-être qu’il se soit laissé aller, dans l’érudition sans doute, mais aussi dans le propos liminaire qu’il a tenu sur l’islam. De l’islam il parle en vérité, ou plutôt celui qu’il cite, Manuel II Paléologue. Notre pape eût pu faire l’économie de la citation. Il s’apprête à parler des rapports de la foi et de la raison, alors que la citation de ce Manuel, Basileus de son état, reproche à Mahomet de vouloir répandre sa foi par le glaive, ce qui, il est vrai, n’est guère raisonnable. Au demeurant, le pape a pris soin d’atténuer le mordant de la citation par une autre, coranique celle-là, « pas de contrainte en religion » (II. 256). Peine perdue, la colère musulmane n’en sera pas réduite (1). Quoi qu’il en soit, Benoît XVI a piqué là notre curiosité, si tant est qu’elle ait besoin de l’être alors que, par les temps qui courent, l’islam est en vedette et le dialogue islamo-chrétien difficile. Ce dialogue-là est exactement celui que conduit Manuel II avec un lettré musulman, en 1391. Nous sommes allés voir à la source, ce qui ne fut pas difficile, le dialogue explosif ayant été publié en 1966 aux Éditions du Cerf, qui en disposent encore (2).
1391, la date est remarquable, comme la personnalité de ce Manuel, empereur byzantin de grande culture classique. La situation du pauvre Basileus n’est guère confortable, que nous rappelle, dans son introduction, le savant Théodore Khoury. Lorsque, de 1391 à 1425, règne Manuel, Byzance est à l’agonie : Constantinople sera prise par les Turcs en 1453. La guerre civile a hâté le déclin de l’empire et, en 1373, Jean V, père de notre Manuel, a dû se reconnaître vassal du sultan Mourad. C’est ce Mourad qui périt au Kosovo en 1389, assassiné en prélude à la bataille du Champ des Merles, que les Serbes célèbrent toujours. À Mourad succédera l’affreux Bayezid, bien connu autrefois des collégiens de chez nous sous le nom de Bajazet et aux ordres duquel — c’est ainsi — son vassal Manuel, fils de Jean V, combattra contre les Scythes à la tête d’un corps d’armée byzantin, en 1390 et 1391, juste avant de succéder à son père. C’est au cours de cette campagne — ou plus exactement durant la pause hivernale sur laquelle s’accordaient, à ce qu’il semble, des ennemis débonnaires et frileux — qu’eut lieu, à Ancyre, aujourd’hui Ankara, la rencontre du Basileus et du Mudarris.
Celui que Manuel nomme le Mudarris (3) est un vieillard persan qui vient de Bagdad (Manuel dit Babylone). C’est chez lui que Manuel, curieusement, est hébergé et c’est le Mudarris lui-même qui, fin lettré désireux de s’instruire des croyances chrétiennes, propose le débat. Manuel s’en réjouit, se flattant in petto d’amener le Perse à la vraie foi, la sienne. C’est probablement de retour à Constantinople, au demeurant assiégée de 1394 à 1402 par l’affreux Bajazet, que Manuel met au net la relation de ces conversations. D’où vient, reconnaît-il, son imperfection, aggravée de ce que lui ne parle pas l’arabe, ni le Perse le grec, et que leur truchement est un Turc. Le résultat n’est pourtant pas si mauvais, puisque le professeur Khoury le qualifie d’œuvre magistrale. Nous pouvons en tout cas témoigner du ton platonicien, bien plaisant, du dialogue, de la pertinence et de la qualité des échanges et de la bonne connaissance qu’a chacun des interlocuteurs des croyances de l’autre.
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