Le grand retournement, Bagdad-Beyrouth
Le grand retournement, Bagdad-Beyrouth
Est-ce parce que cet ouvrage est le fruit d’une véritable enquête journalistique menée sur le terrain, dans le sillage immédiat de la « guerre de juillet » au Liban, qu’il est particulièrement pertinent ? Sans doute est-ce aussi parce qu’il dresse un tableau juste et sans complaisance de la diplomatie française qui, derrière les belles envolées lyriques et une rhétorique convaincante sur notre rôle sur la scène internationale, peut sembler faire prendre des « vessies pour des lanternes ».
C’est précisément ce « grand retournement » que décrit le journaliste de RFI, pour qui le discours « fondateur » de Dominique de Villepin devant l’Assemblée générale de l’ONU, en février 2003, bien qu’ayant marqué les esprits par son courage et sa lucidité, n’était que soubresaut, manifestation d’orgueil ou preuve supplémentaire de notre relative impuissance.
Fort de sa connaissance fine des hommes et des enjeux moyen-orientaux, l’auteur dresse ainsi l’inventaire de ces petits et grands revirements qui parfois se sont transformés en reniements plus caractérisés. Ces derniers semblent ponctuer, en effet : au mieux, un relatif effacement de notre politique étrangère étouffée par une mondialisation sur laquelle les États n’ont guère de prise ; ou, au pire, un alignement de plus en plus ostentatoire sur Washington et ses ambitions internationales sans nuances.
En effet, la résolution 1559, voulue conjointement par Paris et Washington pour juguler l’influence syrienne au Liban, tout comme les gages donnés par la France aux États-Unis en Afghanistan, en Irak, dans le cadre de la crise énergétique en Ukraine, vis-à-vis du dossier nucléaire iranien ainsi que dans la lutte contre le terrorisme international, témoignent d’une nette tendance à rentrer dans le rang.
De là à dire que la France ne peut plus tenir son rang, il y a un pas que l’auteur n’hésite pas à franchir… La critique peut sembler sévère. Elle n’en reste pas moins emblématique d’un abandon d’une « certaine vision de la France » et d’une politique étrangère de non-alignement que la planète entière nous enviait. Il y aurait donc urgence à résister à cet état de fait qui n’a rien d’inéluctable, comme nous y invite l’auteur.
Il est en effet dommage que ce que l’on encense sur le papier ou à la tribune de grandes instances internationales soit moins vrai sur le terrain, notamment sur les « lignes de fractures » à travers la planète, en général, et au Proche-Orient en particulier, preuve supplémentaire que c’est là que la stabilité planétaire y joue une fois de plus son destin. ♦