L'éthique des armes
L'éthique des armes
L’entreprise n’est à première vue pas banale : le bourreau s’inquiète de savoir s’il va faire mal à sa victime ! Un ingénieur général de l’armement (et pas n’importe lequel, puisqu’il fut en poste tant à notre ambassade à Washington qu’auprès de l’Otan, et dirigea le CHEAr) se préoccupe des aspects moraux d’une activité potentiellement coupable. Il entend que « Vulcain ne soit pas jugé plus sévèrement que Mars ». À cet effet, tout en écrivant « sous sa seule responsabilité », il se fait en quelque sorte dans ce petit livre le porte-parole d’un comité « Éthique de l’armement » qui réunit des personnalités d’origine variée, mais toutes compétentes.
Il se place au niveau du jus in bello et non du jus ad bellum en expliquant d’emblée, peut-être un peu trop longuement, qu’il ne raisonne ni dans l’optique de Clausewitz, ni même dans celle de textes qui font partie, selon une jolie formule, du « patrimoine juridique de l’humanité », mais se soucient peu du cas particulier des armements, domaine dont il va s’efforcer de mettre en évidence les caractéristiques. Traitant ensuite successivement des différentes catégories d’armes, dont certaines « n’existent pas officiellement » mais qu’on ne saurait « dés-inventer », il n’hésite pas à commencer sur d’apparentes banalités pour pousser la réflexion et aboutir à nombre d’interrogations embarrassantes ou d’incompatibilités : c’est ainsi que l’épouvantable arme nucléaire a apporté la paix au monde pendant près d’un demi-siècle et continue d’« assagir ses détenteurs », à considérer l’exemple du face-à-face Inde-Pakistan. Autre genre de situation floue, celle des armes non létales qui recèlent à la limite un pouvoir vulnérant, voire mortel.
Voilà pour le producteur qui s’interroge sur son éventuelle culpabilité, mais qu’en est-il lorsqu’il devient vendeur, « marchand de canons » sur le marché international ?…bien que pauvre hère il est vrai, car on nous explique ici que « certains industriels de l’armement ont fait faillite, tandis que de nombreux généraux ont fait fortune » ! Ce commerce se pratique parfois dans le monde au sein d’un « complexe militaro-industriel » où l’on note (pas chez nous, bien sûr) des « passages trop rapides de la fonction publique aux sommets des hiérarchies privées ou vers des postes de consultants » et où on enregistre des pratiques recevant « une multitude d’appellations plus ou moins élégantes, de la commission occulte au pot-de-vin ».
Alors, sachant que les guerres actuelles « ne sont pas plus chevaleresques que les précédentes », prétendre fixer les règles d’une éthique de l’armement, s’agissant de la production d’engins « destinés par nature à tuer, blesser ou détruire », n’est-ce pas se bercer d’illusions, même si on se réfugie pudiquement pour se donner bonne conscience derrière des règles dont aucune n’est simple ? Dire qu’Alain Crémieux résout le problème qu’il se pose à lui-même serait exagéré et il n’y prétend nullement. Mais, refusant de « se réfugier dans les aspects techniques de sa spécialité », il a le mérite de poser clairement de vraies questions, dans une langue agréable. ♦