En pays kirghize, visions d'un familier des monts Célestes
En pays kirghize, visions d'un familier des monts Célestes
René Cagnat est un excellent connaisseur des peuples d’Asie centrale. Dès 1981, il leur consacrait, avec Michel Jan, un livre joliment titré Le Milieu des Empires (Robert Laffont). Des deux compères, jeunes officiers, Cagnat était à Moscou, Jan à Pékin. L’un comme l’autre ne devaient plus quitter l’objet de leur passion. Quand il mit fin à sa carrière, en 1999, René Cagnat était attaché en Ouzbékistan. Depuis lors, il passe le plus clair de son temps en Kirghizie, retraite heureuse qui convient à l’aventurier qu’il fut et qu’il reste.
Son livre pourrait être vu comme une invitation au voyage : les photographies qui l’illustrent sont à couper le souffle et les informations qu’il contient utiles au voyageur. Mais ce serait réduire l’ouvrage, lequel est une monographie sérieuse où géographie, histoire, ethnographie et politique se mêlent heureusement. 350 ans de migrations antiques ont amené les Kirghizes en un repaire bien choisi : les monts Célestes culminent à plus de 7 000 mètres, l’ait y est si limpide qu’on distingue leurs sommets à plus de 400 kilomètres et le lac Issyk-Koul, qu’ils enserrent, est une mer de cristal. Éleveurs de moutons, chevaux, yacks et chameaux, les Kirghizes pratiquent la transhumance et leurs quarante tribus présentent les traits rudes et charmants qui sont communs à tous les nomades. Qu’ils errent dans les déserts de glace ou les sables torrides, les nomades sont exploiteurs de vide, artisans de l’éphémère, hospitaliers au visiteur du soir, joyeux fêtards et infatigables arpenteurs de la terre. En Kirghizie, la yourte, demeure légère et démontable, est une œuvre d’art, les filles sont belles et gracieuses, l’islam est aimable et le çoufisme y fait bon ménage avec le chamanisme. Enfin, l’on connaît, depuis que Joseph Kessel l’a chez nous popularisé, l’Oulak-Tartych, sport national où des cavaliers fous se disputent une carcasse.
Mais, quels qu’ils soient, les nomades et l’État sont à couteaux tirés. Les Kirghizes eurent beaucoup à souffrir, des Russes d’abord, des Soviétiques ensuite. Indépendants depuis 1991, ils ne sont pas sauvés pour autant : le modernisme les guette, plus redoutable que l’État. René Cagnat ne se résout pas à leur abaissement. Déjà, dans Le Milieu des Empires, il balançait entre inquiétude et espérance : « Pourquoi restent-ils si vivants, si particuliers, sous le poids des systèmes ? À quel sort fatidique préparent-ils tant de beaux enfants ? ».
Ce beau livre vient de recevoir le prix Louis Marin, décerné par l’association des Écrivains combattants. ♦