Le Comité d’analyse et de réflexion sur l’actualité (Cara) de l’association des auditeurs de l’IHEDN publie régulièrement des analyses assorties de recommandations portant sur la défense globale. Le rapport « Dissuasion nucléaire et défense antimissiles » est disponible sur le site (www.2a-ihedn.org).
Dissuasion nucléaire et défense antimissiles
Deterrence and anti-missile defence
The committee for the study of current affairs of the IHEDN’s (Institute for Higher National Defence Studies) alumni association regularly publishes analyses and recommendations on defence questions. Their report on deterrence and anti-missile defence, on which this article is based, is available (in French) at www.2a-ihedn.org.
Les États-Unis tentent actuellement, bilatéralement et par l’intermédiaire de l’Otan, de promouvoir une défense antimissiles de l’Europe intégrée à celle qu’ils développent pour protéger leur propre territoire. Il en résulte que l’avenir des forces nucléaires et celui d’une éventuelle défense antimissiles deviennent des sujets critiques en termes de souveraineté pour la France comme pour l’Europe.
En effet, si les grandes tendances géostratégiques montrent l’importance primordiale des actions de prévention combinant diplomatie (traités, aides et pressions) et opérations extérieures (Opex) de bas niveau (renseignement et opérations spéciales), elles indiquent aussi que la menace la plus vraisemblable à court et moyen terme (hors terrorisme) est le chantage par une puissance régionale équipée d’armes de destruction massive (ADM) capables de porter atteinte à nos intérêts vitaux.
Pouvoir réagir par un contre-chantage ou, mieux, par une contre-dissuasion exige des armes nucléaires crédibles. Toutefois, pour faire fléchir un pouvoir souvent capable de sacrifier délibérément une partie de sa population ou de ses infrastructures, cette dissuasion nucléaire « massive » doit être complétée par la menace d’un ciblage précis de ses centres de décision qui sera pour lui plus dissuasive.
Ainsi, le vieil adage « la dissuasion nucléaire fonctionne et elle rend sage » devient plus ou moins valable selon les situations. Cela, combiné à une tendance compréhensible à vouloir remplacer « l’épée virtuelle » que constitue la dissuasion nucléaire par un « bouclier réel », explique l’intérêt croissant porté à la défense antimissiles balistiques (DAMB). Il en existe deux variantes : une défense de théâtre, qui est du ressort des opérations militaires, et une défense stratégique qui nous occupe ici.
Pour les pays qui ne sont pas dans la « zone » de pays proliférants, le risque balistique stratégique est nul aujourd’hui et très faible à moyen terme. Vouloir le contrer par une défense antimissiles constituerait une dépense colossale pour une interception qui resterait limitée aux missiles peu sophistiqués de pays dits « proliférants » et une efficacité en réalité nulle.
En effet, il ne peut exister de bouclier antibalistique parfaitement étanche, même face à des missiles « rustiques » ; si ces derniers sont potentiellement porteurs d’une charge nucléaire, le défenseur ne pourra accepter ce risque et une défense complexe, coûteuse et limitée à une seule menace sera mise en échec.
Il en résulte que, de même que la défense antimissiles stratégique (MD) des États-Unis n’est crédible que grâce à leur force nucléaire stratégique (FNS) dont elle est un complément, une DAMB sans capacité de dissuasion ne serait pour l’Europe qu’une « feuille de vigne » pérennisant sa dépendance envers les États-Unis en matière de défense.
Toutefois, comme les prévisions sont difficiles et que la surprise est de règle, il importe — même s’il ne semble pas y avoir actuellement d’urgence — d’établir en Europe une veille sur les technologies de la DAMB « stratégique », en parallèle avec l’indispensable développement d’une défense de théâtre. Par ailleurs, disposer de moyens de surveillance à longue portée permettrait de suivre les essais effectués dans le monde et de localiser les points de lancement, ce qui aurait également une utilité dans l’éventualité d’une dissuasion européenne. Cette dernière ne pourra être mise en place sans de nombreux débats et consultations pour lesquels des outils de concertation et de pédagogie doivent être mis au point sans attendre.
La France doit prendre toute sa part dans ces travaux et élargir, si possible en coopération européenne, la défense aérienne à la protection antimissiles de forces projetées (défense de théâtre). Elle doit aussi veiller à développer les aspects qualitatifs de ses moyens de dissuasion (capacités de gesticulation, de souplesse d’emploi et de contournement des défenses) et à les compléter par des armes conventionnelles puissantes, précises et à longue portée (missiles de croisière) pour contrer les nouvelles menaces « substratégiques ». ♦