Liberté, Égalité… Sécurité
Liberté, Égalité… Sécurité
Faudra-t-il finir par modifier la devise républicaine, en remplaçant le terme « Fraternité » par celui de « Sécurité » ? C’est en tout cas, en plein débat sur la sécurité dans notre société, en période électoral, qu’est publié cet ambitieux ouvrage collectif, sous la direction du grand reporter à 01 Informatique Nicolas Arpagian, et réalisé sous l’égide de l’Institut Présaje (www.presaje.com) présidé par Michel Rouger, président honoraire du Tribunal de commerce de Paris.
L’Institut Présaje se veut le laboratoire d’idées de référence pour les thématiques sociétales qui intègrent les trois mondes de l’économie, du droit et de la justice, permettant à des magistrats, avocats, universitaires, officiers, hautfonctionnaires, responsables associatifs, hommes et femmes d’entreprise de travailler ensemble sur les grands sujets de société – santé, épargne, sport, propriété, transports, culture, sécurité – porteurs de changements décisifs dans l’imbrication du droit et de l’économie.
En ce début de XXIe siècle, la demande croissante de sécurité de la part de l’opinion publique, qui se traduit par une montée en puissance d’un désir commun pour davantage de sûreté pour les personnes et leurs biens, oblige donc les décideurs politiques et les professionnels publics, para-publics ou privés de la sécurité à s’adapter et à anticiper les changements en cours.
La problématique de la sécurité est, par nature, forcément polymorphe. Le sociologue allemand Ulrich Beck a pu dire à ce sujet que « ce ne sont pas les risques qui ont changé au cours des dernières décennies, mais la perception que nous en avons ». En résulte une appréhension de la complexité de la question à travers la contribution d’une dizaine d’auteurs, tous experts, analystes de la sécurité collective, praticiens de la sûreté et personnalités politiques ; à l’exception notable des représentants de l’UDF complètement oubliés dans cet ouvrage donnant l’impression d’un dialogue forcément un peu réducteur quant aux réponses à proposer par le législateur. Oubli dommageable pour la cohérence de l’ouvrage, quand on sait la place importante prise pour les différentes propositions concernant les réformes des institutions de la sécurité pendant la campagne pour l’élection présidentielle.
Le journaliste Nicolas Arpagian, ancien auditeur de l’Institut national des hautes études de sécurité (INHES), chargé de cours à l’Université Paris II, réussit néanmoins à rassembler la diversité des expériences vécues et faire le lien entre les multiples propositions présentées. C’est ainsi qu’il aboutit à la conclusion selon laquelle aucun des acteurs mentionnés n’est en mesure de résoudre à lui seul des problèmes qui réclament une cohérence d’ensemble et la pratique permanente de la synergie des moyens mis en œuvre pour les résoudre.
Le problème est ainsi posé d’une manière toute simple, mais non réductrice : pour anticiper les dangers, prévenir les risques et pour faire face à la menace, que convient-il de faire (agir ou laisser faire) et avec qui le fait-on (acteurs publics ou recours à l’expertise privée) ?
Comme le rappelle le commissaire Lacarrière, fort de son expérience à la croisée de la sécurité intérieure et extérieure, la demande de sécurité s’inscrit au plus intime de notre vécu individuel et de nos comportements sociaux et professionnels dans la collectivité…
Les coauteurs analysent ainsi tous les facteurs (économiques, juridiques, sociologiques, éthiques) propres à stimuler et répondre à cette demande croissante de sécurité, dans une société où elle est partout… à l’école, sur le lieu de travail, sur la route. N’évoque-t-on pas les sécurités humaine, informatique, alimentaire, économique ?
Ce sont, fort naturellement, les émeutes de novembre 2005 dans les banlieues, l’occurrence des menaces de nature terroriste sur le territoire, ainsi que leur caractère diffus et volatil, qui mettent en évidence la nécessaire prise en compte du contexte international et des implications géopolitiques, tout en considérant le toujours difficile équilibre entre libertés individuelles et sécurité collective.
Ces questions méritent, en effet, d’être posées. C’est ce que réussit cet ouvrage collectif, pionnier à bien des égards, en tentant des réponses. Sont ainsi évoqués le défi de l’insécurité dans les banlieues et son caractère évolutif, la difficile gestation de l’espace judiciaire et de la sécurité intérieure par l’Union européenne (conformément au Programme de La Haye – 2005-2010 – visant à assurer aux citoyens européens un espace de Justice, Liberté et de Sécurité sans frontières intérieures), le chantier d’avenir de la sécurité civile en France et au niveau international, tout comme la révolution intellectuelle et culturelle liée à la prise en compte de l’intelligence économique par les acteurs étatiques (qu’est venu confirmer la création du poste de Haut responsable à l’intelligence économique sous l’égide du SGDN), les universités et le monde de l’entreprise dans un cadre à la fois pragmatique et opérationnel.
Par ailleurs, l’émergence du phénomène de privatisation de la sécurité accompagne également un marché exponentiel et très lucratif lié aux nouvelles technologies et à leurs applications sur le marché de la sécurité, notamment dans le domaine particulièrement sensible des systèmes de transmission de l’information.
Cet important ouvrage dresse donc un bilan honnête et porte un regard sans complaisance sur ce besoin de sûreté qui est bien souvent profondément contradictoire : on voudrait davantage de policiers tout en payant moins d’impôts ; un même niveau de sécurité partout en France alors que 50 % de la population est rassemblée sur 5 % du territoire national ; des agents de sécurité privée irréprochables tout en ne choisissant que les moins chers lors des appels d’offres ; vivre entourés des technologies de l’information sans prendre la peine d’appréhender les menaces et les nouvelles formes de contrôle qu’elles suscitent ; on a recours à des cabinets de conseils et d’audits en analyse stratégique et intelligence économique, sans la moindre exigence d’éthique.
Cette demande de sécurité exige des moyens, génère des coûts, engage des règles et le respect de procédures et occasionne nombre de contraintes, que les citoyens ne sont pas toujours prêts à accepter, ni à n’importe quelles conditions : de la demande de sécurité à la rébellion, il peut n’y avoir qu’un pas à franchir comme le rappelle cet ouvrage.
Il est néanmoins à noter l’absence de lien de causalité entre terrorisme, grande criminalité et mafias, insécurité et absence de réponses internationales, tel que Xavier Raufer a pu le montrer quand il met en exergue l’imbrication des acteurs dans les Balkans occidentaux par exemple…
Aussi faut-il se féliciter de la rédaction du Livre blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme qui, dans la foulée de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, tente de faire un état des lieux des menaces. En tenant compte peu ou prou de l’apparition de ces nouvelles menaces, il convient de voir en quoi elles ont un impact sur la sécurité et impliquent un regard croisé devenu la règle – quand il s’inscrivait auparavant sous le règne de l’exception – des différents protagonistes censés y répondre, soit de manière préventive, défensive ou curative.
Ces nouvelles menaces, en effet, contribuent à la déliquescence des États, pèsent sur la bonne gouvernance internationale et s’attaquent au lien social entre citoyens. Elles ont pour nom : terrorisme international ; proliférations, qu’il s’agisse des armes légères ou des armes de destruction massives (ADM), quelles soient nucléaires, bactériologiques ou chimiques ; violence armée qui accompagne parfois les revendications séparatistes de minorités ethniques ou religieuses, des guérillas et des milices ainsi que la criminalité organisée et ses ramifications avec le terrorisme international ; à l’instar des trafics en tous genres, conflits intra-étatiques de nature ethniques et nationalistes.
Sans oublier les risques systémiques caractérisés par la vulnérabilité nouvelle liée aux phénomènes croisés de raréfaction et de non-renouvellement d’éléments vitaux (eau, transports, matières premières, hydrocarbures, santé, investissements mobiles internationaux, ressources humaines d’expertise, technologies critiques, systèmes d’approvisionnement en énergie, capacité de production électricité, systèmes d’information), qui elles aussi légitiment un besoin de sécurité, Homeland security ou sécurité globale.
Néanmoins, le besoin de sécurité, qui est un droit au regard de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, n’est pas un fait nouveau. Il s’inscrit comme Montesquieu nous l’a appris dans le fait que la « liberté politique consiste dans la sûreté, ou du moins dans l’opinion que l’on a de sa sûreté ».
Cet ouvrage peut, en outre, paraître quelque peu « décalé » comme l’a indiqué récemment le criminologue Alain Bauer, qui préside l’Observatoire national de la délinquance, car c’est un ouvrage que l’on aurait dû lire en 2002 et qui aurait dû préparer davantage les échéances présidentielles et législatives de 2007 afin de comprendre les enjeux du débat sur l’insécurité, au-delà des postures et des hésitations entre répression et prévention.
Le moins que l’on puisse dire est que si l’aggiornamento maintes fois évoqué au sein de la classe politique et médiatique quant à la « vigilance citoyenne de sécurité » et le besoin d’une pédagogie volontariste autour de cette demande récurrente est engagé, force est de constater que ce débat nécessite toujours plus d’application concrète et de réflexion en amont. ♦