Toute la géographie du monde
Toute la géographie du monde
Qui ne s’est émerveillé des sites de photos satellite qui font florès sur Internet ? Voir sa maison de là-haut, voir beaucoup de choses… ; voir tout, tout de suite, mais ne rien comprendre. Car on sait moins aujourd’hui sa géographie. C’est cette lacune que Jean-Claude Barreau et Guillaume Bigot tentent de combler.
Et de noter dans leur introduction : « Au XIXe siècle, tout savant tenait à honneur de vulgariser, alors que maintenant cette activité ne semble pas sérieuse ». La géographie pâtit de deux discrédits supplémentaires : c’est « un art de comparaison (…), devenu une activité intellectuelle suspecte et presque obscène » ; pire, « la géographie est la science des frontières, qu’elles soient culturelles ou physiques. À l’heure où toute institution respectable se proclame “sans frontières”, on voit le problème ! ».
Il est donc question de géographie physique, mais aussi humaine et politique, dans ce volume passionnant et alerte écrit dans une langue très agréable (encore un anticonformisme des auteurs). La présentation générale de la planète donne des formules heureuses (l’hémisphère du vide, l’Arctique comme Méditerranée du Nord, le tricontinent) ou des observations lumineuses (le croisement, quelque part en Iran, de la grande chaîne montagneuse transverse et du grand désert continental). Cela est également vrai des sujets que l’on croit maîtriser, comme les chapitres sur la Méditerranée ou le Finistère européen.
On ne lâche pas le tour du monde qui suit car il respecte à la fois les traits physiques, qui donnent lieu aux découpages retenus par le livre, et les États, résultats de l’histoire des hommes : nos auteurs sont des réalistes, et cela se remarque heureusement.
On retiendra également un sens des comparaisons fulgurantes : l’Espagne et la Turquie, le Brésil solide et le Deccan indien, la Norvège et le Chili, l’Italie et la Corée, New York et Istanbul… Les auteurs tiennent leur parti de réconcilier géographie physique et description humaine en proposant des découpages géographiques inusités. Pour prendre l’exemple de l’Amérique du Sud, celle que nous voyons sur une carte et que nous aurions naturellement traitée comme un ensemble, nos auteurs traitent du Chili à l’occasion de l’océan Pacifique, du Venezuela pendant les Caraïbes, et du Brésil lors de l’Atlantique lusitanien : c’est que constatant que notre planète est d’abord faite d’eau, ils tiennent que ce sont les mers qui organisent le monde et donc les ensembles terrestres.
Signalons un regard critique sur la fragilité de la Chine, à rebours de l’émerveillement unanime contemporain, ainsi qu’un excellent dernier chapitre sur la mondialisation (« une réalité modeste » qui ne touche « qu’une minorité de terriens » : « la mondialisation existe, mais elle est seulement une mince pellicule d’individus […] ; par-dessous, le monde reste incroyablement structuré par sa géographie »). Et nos auteurs terminent en insistant sur le rôle du climat comme facteur géographique : ils réhabilitent ainsi le Montesquieu sottement moqué de L’esprit des lois, qui est d’abord, faut-il le rappeler, un ouvrage de géopolitique.
C’est donc une géographie fondamentale, mais contemporaine. Car si on ne lit plus É lisée Reclus (ce qui est dommage), on lira avec grand profit Barreau et Bigot : au premier sens du mot, leur « point de vue » prouve que la géographie reste d’abord une science de l’observation, et qu’elle conserve une grande valeur explicative. ♦