Le grand désordre mondial
Le grand désordre mondial
George Soros est un poids lourd mondial de l’économie, de la finance, et par extension de la politique. C’est dire que ses écrits méritent respect et lecture attentive. Conscient des possibilités que lui offre l’influence qu’on lui prête, il s’exprime, sans modestie excessive et sous l’étendard du désintéressement, dans un style alerte et chaleureux, n’hésitant pas à faire appel à des souvenirs personnels voire intimes. Il s’appuie sur ses « fondations » qui lui sont chères et dont il espère que l’action se poursuivra après sa mort.
L’ouvrage comprend deux parties de volume inégal. La première, la plus courte, présente un « cadre conceptuel » d’application universelle. L’auteur y insiste notamment sur la notion de « société ouverte », tolérante, « acceptant l’incertitude » et l’impossibilité d’atteindre la « vérité absolue », loin des « valeurs prêtes à l’emploi » et des habillages pseudo-scientifiques dont se parent les théories, réservée par conséquent vis-à-vis des prétentions des Lumières et du positivisme, finalement réticente face au « monopole de l’État-parti » et accueillante aux dissidents de tous bords. Si le thème général exposé ici apparaît clairement, le parcours semble parfois un peu tortueux et répétitif. Effet de la traduction ? Incompatibilité entre considérations de haut vol et limpidité du discours ? Approche anglo-saxonne pas toujours facile à suivre pour nos esprits cartésiens, bien que George Soros soit d’origine hongroise ?
Les deux tiers restants sont consacrés à une critique de la société américaine contemporaine plongée dans son « optimisme béat », et surtout à une attaque en règle contre l’Administration Bush, son incompétence, sa brutalité, son exploitation éhontée des événements du 11 septembre 2001. Qu’on en juge : le président et son entourage ont « amplifié le péril », créé un « cercle vicieux d’escalade de la violence », conduit à une situation désespérée au Moyen-Orient, tandis que l’islam militant gagne du terrain et que l’Iran tire son épingle du jeu. L’invasion de l’Irak fut une « bévue monumentale », le pouvoir à Washington est en « pleine débâcle » et a suscité contre lui « l’hostilité mondiale ». Bref, on se trouve selon Soros devant les méfaits d’une « conspiration de droite malfaisante », plus préoccupée des forces du marché que des intérêts communs de l’humanité et appliquant des méthodes de propagande offrant des similitudes avec les machines nazie et communiste. Bush ne serait d’ailleurs qu’un « instrument » ; manipulé par un Cheney « paranoïaque, sorte de Docteur Folamour ». Au cas où le lecteur se poserait encore des questions, il aurait le choix chez le même éditeur entre Le roman noir de la Maison-Blanche (dont nous avons rendu compte dans le numéro de décembre 2005 de notre revue) et Le vice au pouvoir – La biographie de Dick Cheney !
Nous nous garderons bien de prendre parti, mais devant ce haro sur le baudet, on finit par se demander par quelle aberration les citoyens américains ont élu, puis réélu leur président actuel, même si les scrutins de mi-mandat ne lui ont pas été favorables.
Est-ce à dire que l’auteur propose des recettes radicales ? Ce n’est pas tout à fait le cas. Certes, il dit éprouver une « sympathie naturelle pour le parti démocrate », dont il dit plus loin douter de l’aptitude à changer sérieusement la donne. Face à l’effacement proclamé des États-Unis, l’Europe « lourde, opaque et bureaucratique » balbutie, la Chine est « embourbée » dans sa croissance, la Russie ne vaut pas mieux, le défi de la crise énergétique n’est pas près d’être réglé, l’efficacité des manifestations de masse contre l’OMC ou le FMI se résume à un impact médiatique…
L’impression finale est plutôt pessimiste : le constat se veut accablant, les remèdes sont peu enthousiasmants et mal adaptés. Au fond, il faudrait changer les Américains et tout irait mieux. ♦