Indochine, les mensonges de l'anticolonialisme
Indochine, les mensonges de l'anticolonialisme
Les repentants, qui parlent très haut chez nous, justifient leur campagne par le cours du temps : on dispose désormais du recul nécessaire pour juger des crimes du « colonialisme ». Paul Rignac retourne l’argument : nous pouvons aujourd’hui parler en vérité de l’œuvre coloniale de la France, de ses méfaits sans doute, de ses bienfaits aussi. Bienfaits et méfaits, il faut rendre hommage à l’auteur pour son objectivité, qualité qui fait défaut aux repentants.
Définir est la première obligation. Surprise ! Le colonialisme est un concept qui n’existe pas. Il est né de son contraire, l’anticolonialisme, auquel il fallait bien un matériau pour mener son combat. Examinons donc « l’anti », seul objet réel.
Hors de France, l’anticolonialisme eut deux chantres majeurs : les deux Grands. Très offensif en URSS, il fut l’instrument de l’impérialisme soviétique ; vertueux et naïf aux États-Unis, il fit aussi quelques dégâts. Mais c’est en France (et en Indochine) que se porte, pour l’essentiel, le regard de l’auteur. Il commence par la politique parisienne. La situation actuelle – agressivité de la gauche, discrétion de la droite – occulte l’histoire compliquée de la colonisation française. Beaucoup découvriront que cette histoire est une sinusoïde.
Napoléon III est le premier colonial, de droite dira-t-on ; la gauche, avec Jules Ferry, lui succédera et le parti radical fournira à l’Indochine de très grands « Indochinois », tels Paul Bert, Paul Doumer ou Albert Sarrault ; la droite reprendra ensuite le flambeau et exaltera « la plus grande France ». Bref, l’anticolonialisme de gauche est une relative nouveauté. S’y distinguent, comme il se doit, les intellectuels, voyageurs, militants – dont Jean-Paul Sartre est la figure emblématique – et compagnons de route du Parti communiste français dont on connaît la conduite infâme durant la guerre d’Indochine.
Au Viêt-nam, l’anticolonialisme a une assise solide, la revendication d’indépendance. Mais celle-ci est de deux sortes : non-marxiste, catégorie dans laquelle se rangent Bao Daï et Ngo Dinh Diem ; marxiste, catégorie dont Ho Chi Minh est le champion. On sait la fascination qu’a exercée ce dernier sur nos penseurs. Sa « prodigieuse intelligence politique » les a rendus aveugles à sa férocité (« l’un des dictateurs les plus sanglants et les plus impitoyables de l’histoire de l’humanité ») comme à la nature totalitaire du régime vietminh. D’où résulte que, maintenant encore, l’oncle Ho a plus de thuriféraires dans l’université et la presse françaises que dans tout le Viêt-nam.
En métropole donc, les anticolonialistes ont trois arguments de choc : racisme, travail forcé, pillage colonial. Là-dessus l’honnêteté de l’analyse donne du poids aux conclusions de Paul Rignac : le racisme colonial est une réalité pratique, non un système ; le travail forcé a existé, ce n’est pas l’esclavage ; l’exploitation-pillage est un mythe tenace que Jacques Marseille, après Raymond Cartier, a brillamment dénoncé.
Les trois derniers chapitres s’éloignent un peu du thème du livre. On ne le regrettera pas, tant la présentation que fait l’auteur de l’Indochine en guerre (guerre de 39-45 et guerre « d’Indochine ») est passionnante. Le très mauvais procès intenté à l’amiral Decoux est vigoureusement contesté ; l’amiral, mis à part quelques excès de vichysme, a fort habilement géré une situation qui eût pu être désespérée. La politique gaullienne, incertaine et finalement maladroite, est justement critiquée. Enfin, « de Haiphong à Dien Bien Phu », on rappelle le drame auquel ont conduit les malentendus initiaux. Son aboutissement tragique est rien moins que colonialiste, puisque la malheureuse affaire de Dien Bien Phu ne visait qu’à assurer au Viêt-nam une indépendance tout autre que celle qui est advenue. La conclusion est réconfortante. C’est le superbe mea culpa de Bernard Kouchner, anticolonialiste virulent auquel ses actions généreuses, au plus près du terrain, ont ouvert les yeux : repentance du repentant ! ♦