Construire l'armée française. Textes fondateurs des institutions militaires. Tome I : De la France des premiers Valois à la fin du règne de François Ier ; Tome II : Depuis le début du règne de Henri II jusqu’à la fin de l’Ancien Régime ; Tome III : De la Révolution à la fin du second Empire
Construire l'armée française. Textes fondateurs des institutions militaires. Tome I : De la France des premiers Valois à la fin du règne de François Ier ; Tome II : Depuis le début du règne de Henri II jusqu’à la fin de l’Ancien Régime ; Tome III : De la Révolution à la fin du second Empire
Ce livre en trois tomes est un monument. Il présente, collectés sur cinq siècles (1328-1868), 101 textes fondateurs de nos institutions militaires. Préfacé par Philippe Contamine, membre de l’Institut, réalisé par trois historiens sous surveillance (dont celle du Centre d’études d’histoire de la défense), c’est un ouvrage d’érudition. On connaît le risque du genre : que le foisonnement des données n’étouffe chez l’érudit l’esprit de synthèse. Nos auteurs y échappent, chaque tome étant précédé d’une brève introduction et chaque texte d’une présentation dans le droit-fil de l’introduction. Au reste, les textes parlent d’eux-mêmes et c’est un plaisir de les écouter : sérieux du document, dépaysement que suscite la langue (que l’on voit évoluer du « moyen français » au français contemporain), structure du discours, changeant aussi (verbosité des rédacteurs anciens plus soucieux du tout-dire que du bien-dire, sécheresse administrative des modernes).
Le bon lecteur suivra le fil de l’évolution de nos armées. Son attention se portera naturellement vers la querelle, poursuivie jusqu’à nos jours, qui oppose les tenants d’une armée de professionnels à ceux qui prônent la levée des sujets. On attend que la Révolution tranche ce vieux débat, et en faveur du nombre. On citera le décret par lequel, le 23 août 1793, la Convention ordonne la levée en masse (« Les jeunes gens iront au combat ; les hommes mariés forgeront les armes ; les femmes feront des tentes… »). Mais le décret fameux est l’exception que justifie la menace : la perspective de la nation armée répugne aux révolutionnaires, qui y voient « recul de la civilisation et risque de barbarie » (1). Napoléon III enfin, conscient du danger prussien et désireux de lui opposer d’énormes bataillons, n’y pourra rien changer : la loi Niel, en 1868, dénaturera son ambitieux projet.
Autre thème, lui aussi ancien et récurrent : l’ordre dans les armées. Le souci des rois est constant d’y instaurer la discipline, point tant en vue de leur efficacité que pour protéger le bon peuple des excès des soldats. Ainsi Charles VII crée-t-il, en 1445, les compagnies d’ordonnance « pour faire cesser de tous points la pillerie qui longuement a eu cours en nostre roiaume (…) à cause de la mauvaise et désordonnée vie que ont menée les gens d’armes tenans les champs ». D’où la mission première de la maréchaussée puis de la gendarmerie : s’assurer de la bonne tenue des troupes. D’où aussi les codes de justice militaire, dont la rudesse est accordée à celle du temps : en 1727 encore, une sentinelle trouvée endormie est punie de la peine de mort, le pilleur d’un bien d’église « pendu et estranglé » et « le blasphémateur du saint nom de Dieu, de la sainte Vierge ni de ses Saints » aura « la langue percée d’un fer chaud ». Soit dit en passant, notre Révolution, blasphème mis à part, n’adoucira guère ces rigueurs.
L’anthologie fait place aussi à la tactique, manœuvre et réglementation ayant partie liée. L’usage des armes est un mécanisme minutieux, particulièrement dans l’infanterie car, si l’on en croit Montesquieu, « sans la discipline, l’infanterie n’est rien, au lieu que la cavalerie va toujours dans son désordre même ». Cette maniaquerie nécessaire dura longtemps, on la retrouve encore dans le règlement de 1791, pourtant inspiré de Guibert. Mais affirmer, comme le fait Annie Crépin, que l’esprit de ce texte imprègne encore l’apprentissage des conscrits de la Ve République, il y a là une extrapolation aventurée.
La Marine n’est pas oubliée, et pour cause : les textes qui l’organisent sont admirables. Dès 1584, le Roi, « seigneur des mers qui environnent et abordent son Royaume », en organise la seigneurie, liant marine de guerre et de commerce, réglant le droit des épaves et la pêche du hareng. Un siècle plus tard, en 1689, l’œuvre de Colbert est codifiée. On y voit apparaître le personnage austère et éminent du capitaine de bâtiment ; aussi l’aumônier qui « dira la messe, fera les prières et le catéchisme » ; encore le charpentier qui, surveillant les entrées d’eau, « observera de ne dire qu’au capitaine le danger auquel se pourroit trouver le vaisseau (…) afin qu’il y puisse remédier sans épouvanter l’équipage ».
Tout cela est bien sérieux. À qui veut seulement picorer, le grain ne manquera pas : la réglementation, en 1651, des quartiers d’hiver, souvenir de l’heureux temps où l’on ne se battait qu’à la belle saison ; le salpêtre nécessaire à la poudre à canon et que l’on collecte jusque dans les caves privées ; la gendarmerie tenue de surveiller les « gens sans aveu », ainsi que l’on disait alors pour les SDF ; les SDF eux-mêmes exclus des obligations militaires par la loi Gouvion-Saint-Cyr ; les discussions engagées, à propos de la loi Soult, sur l’assujettissement, ou non, des étrangers au service militaire ; et, bien sûr, la contribution exemplaire des Suisses à l’armée royale (3 000 à 4 000 d’entre eux aidèrent le Roi à conquérir la Bretagne, de 1488 à 1491), organisée par traité sous François Ier et assurant la garde du Roi à partir de 1616. Chemin faisant, on relèvera l’apparition de quelques belles institutions : les Troupes de Marine en 1690 ; nos écoles militaires, Polytechnique en 1794, l’École spéciale militaire en 1803, l’École navale en 1830 ; l’Hôtel des invalides, créé en 1674 par Louis XIV désirant que « les pauvres officiers et soldats de nos troupes (…) jouissent du repos qu’ils ont assuré à nos autres sujets, et passent le reste de leurs jours en tranquillité ».
Le glossaire, enfin, propose quelques plaisantes mises au point. Butiner n’est pas faire le dilettante, mais partager le butin. Le carabin n’étudie pas la médecine, c’est un chevau-léger qui porte carabine, la montre est la revue des troupes et les Petits-vieux sont les plus anciens de nos régiments, ayant le privilège de porter drapeau blanc. ♦
(1) Ces gros mots annoncent – rencontre curieuse – ceux du pape Léon XIII qui, dans l’encyclique Rerum novarum, publiée le 15 mai 1891, dénonce « le grand fait nouveau qui étend son ombre inquiétante sur la jeunesse de vingt ans : le service universel ».