Washington et les États voyous. Une Stratégie plurielle ?
Washington et les États voyous. Une Stratégie plurielle ?
Lorsqu’il s’est agi de désigner leurs principaux adversaires, de juger des régimes qualifiés d’hostiles, et de cibler les nouvelles menaces auxquelles les États-Unis auraient à faire face, sont apparus, il y a une quinzaine d’années, le concept d’« État voyou » (Rogue states) et son corollaire, celui d’« axe du mal ». Un État est ainsi considéré comme « défaillant » : soit parce qu’il recourt délibérément à des principes ou modes d’action qui contreviennent au droit international (on parle alors d’État « voyou ») ; soit parce qu’il n’est pas en mesure, pour des motifs conjoncturels ou structurels, d’honorer les obligations qui lui incombent en regard de sa propre loi fondamentale ou du droit international (on parle alors d’État « failli »).
Cet ouvrage, fruit du regard croisé de chercheurs français et canadiens, issus de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), de l’Université Uqam de Montréal, du Centre d’études transatlantiques (CET), du Groupe de réflexion sur les nouveaux enjeux transatlantiques (GR net) et du Cabinet d’ingénierie stratégique pour la sécurité (CI2S), permet de comprendre comment cette notion légitimante des politiques étrangère et de défense de Washington est également devenue le point cardinal des relations internationales pour l’ensemble de la communauté internationale.
Cette quête permanente de l’adversaire désigné comme ennemi se décline sur fond de légitimation de la guerre contre le régime de Saddam Hussein en Irak, de mobilisation internationale contre les velléités nucléaires iranienne et nord-coréenne, de dénonciation de la Syrie comme soutien tacite au terrorisme. À cela, il convient d’ajouter l’actualité du bouclier antimissiles présenté par Washington comme une nécessité pour se protéger d’éventuels, quoique improbables, tirs venant d’États voyous…
Là ne s’arrête nullement la liste des États également désignés comme « récalcitrants » à la politique étrangère américaine. C’est le cas du Venezuela d’Hugo Chavez qui semble remplacer Cuba comme épine dans le pied américain ; du Bélarus, paragon de la dictature nostalgique post-soviétique ; de la Palestine du Hamas niant l’existence d’Israël, allié stratégique des États-Unis ; voire du Pakistan, allié « subjectif » dans la lutte contre le terrorisme international…
Le flou du concept, sa constante évolution, sa difficile délimitation et application, font que certains alliés de ne sont pas forcément prêts à suivre aveuglement Washington. D’où une potentielle remise en cause de ce concept un peu fourre-tout et par nature manichéen, qui mélange l’hostilité à l’adversité (sur le plan militaire, idéologique, mais aussi commercial, rangeant même la Chine parmi ces adversaires dans le cadre de cette guerre économique). Bref, force est donc de constater, que ce concept incompatible avec l’Hubris et les desseins des États-Unis visant à être l’unique gendarme du monde réticent (reluctant sheriff), n’est pas unanimement partagé.
Cet état des lieux précis permet surtout de comprendre comment ce concept, étalon des relations que Washington entretient avec certains États, a pu évoluer, faisant des ennemis d’hier les partenaires d’aujourd’hui, le cas libyen étant très certainement l’exemple le plus éclatant.
La chronologie de la politique étrangère américaine depuis 1989, contenue à la fin de l’ouvrage, offre aussi une utile mise en perspective permettant de comprendre comment de l’appréhension de ces « États voyous » et « États faillis », est née une nouvelle stratégie de containment, justifiant le rôle qu’entend jouer Washington sur la stabilité et la sécurité globale. ♦