Le siècle de la Chine - Essai sur la nouvelle puissance chinoise
Le siècle de la Chine - Essai sur la nouvelle puissance chinoise
Le XXIe siècle sera-t-il celui de la Chine, comme le XXe fut américain, et le XIXe britannique, s’interroge, Pascal Lorot, président de l’Institut Choiseul et directeur de la revue Géoéconomie ? Pour tenter d’y répondre, il n’assène pas au lecteur de longs développements, mais procède par petites touches, séries de paragraphes ciselés, et subtils, véritables calligraphies intellectuelles. Arrivera-t-il un moment où les États-Unis ne seront plus l’unique « hyperpuissance » ? Et quelles en seront les conséquences pour le monde qui, selon la prévision célèbre d’Alain Peyrefitte, exprimée dès 1971, devrait alors trembler ?
La Chine fascine et inquiète tout à la fois, en tout cas elle dérange. Pourtant, d’un point de vue historique, il ne s’agit pour elle que d’effacer l’humiliation qui lui fut infligée lors de la guerre de l’opium, puis l’irruption des impérialismes, les déchirures des divers conflits et de la guerre civile. Cette dynamique irrépressible qui a saisi l’ensemble du pays depuis une génération, est plus une renaissance Fu xing, qu’une volonté de domination. Pour ce faire, la Chine a privilégié l’ouverture au monde plutôt que la démocratie, elle a libéralisé l’économie et non la sphère politico-sociale. Ce modèle n’est d’ailleurs pas sans failles constate Pascal Lorot, car la croissance effrénée du pays engendre maintes fractures entre littoral et intérieur, urbains et campagnards, fonctionnaires et entrepreneurs. Les inégalités croissent, le mécontentement social grandit, la protection de l’environnement devient un problème aigu, sans même prendre en compte le vieillissement qui guette le pays, où le taux de fécondité est inférieur à celui des États-Unis…
Si la Chine inquiète l’Occident c’est qu’elle le concurrence victorieusement sur son propre terrain, celui de l’efficacité et de la rentabilité. On la perçoit comme un prédateur, un dévoreur de matières premières, la cause première des délocalisations. Son fantastique excédent commercial, la montée vertigineuses de ses réserves financières, qui ont dépassé les 1 300 milliards de dollars, effraient. On en vient à oublier, qu’avant d’apparaître aujourd’hui comme un défi, la Chine était une opportunité. La montée du cours des matières premières n’a-t-elle pas été bénéfique pour maints pays du Sud, et le consommateur américain n’a-t-il pas été à son aise en absorbant des produits à « bon marché » tout en continuant à vivre au-dessus de ses moyens en se faisant financer par… les Chinois. Il est vrai que la montée en puissance de la Chine, n’est pas purement économique. Pékin modernise son armée, la dote d’armements modernes, ambitionne de devenir une puissance militaire et spatiale de premier ordre comme en témoigne l’accroissement constant de ses dépenses militaires (+ 18 % en 2006). Surtout elle investit dans tous les secteurs d’avenir, ses recherche-développement dépassent les 2 % du PIB. Les effets d’une telle puissance montante se font sentir en tout point de la planète mais d’abord à Taïwan, Hong Kong et au Japon et en Corée le premier éprouvant quelque mal à s’adapter à cette nouvelle donne. Avec talent et érudition, l’auteur passe en revue les relations que développe Pékin avec l’Amérique latine, l’Afrique et l’Europe, qui de son point de vue n’a pas encore trouvé le ton exact ou établit des rapports spécifiques avec le géant chinois.
Reste la question essentielle : États-Unis et Chine sont-ils destinés à s’affronter dans un avenir plus ou moins proche ? Sur ce point, la comparaison d’avec la guerre froide ne lui paraît guère pertinente. La Chine fait partie désormais du système globalisé et elle n’a plus de querelle idéologique avec le reste du monde. La seule question de nature conflictuelle qui pourrait l’opposer un jour frontalement à Washington est sa volonté inébranlable de réintégrer Taïwan dans son orbite ; mais elle prend son temps et ramasse ses forces. Présentement et pour un temps assez long, elle a besoin de la technologie, comme du marché américain pour continuer à croître, d’où son slogan fort en vogue de « montée pacifique ». En tout cas, si affrontement il y avait, dont maintes prémisses se dessinent, pense Pascal Lorot, ce ne sera plus un jeu d’échecs mais le weï qi, le jeu de go, tout aussi impitoyable dans sa logique propre, mais plus nuancé et, surtout caractérisé par une plus forte propension à combiner le hard et le soft power. Le jeu devrait être d’une diversification plus compliquée et, sans doute, de plus longue haleine. À condition que chacun des partenaires, se donne les moyens de décrypter le logiciel de l’autre. Ce à quoi précisément il se livre dans des pages fort stimulantes.
Quelle puissance cherche à édifier la Chine ? Pour elle il s’agit d’abord de développer le shi, concept intraduisible qui désigne tout à la fois une combinaison de forces, ou encore un môle d’intentions ou de dispositions que, seuls, des stratèges aguerris peuvent exploiter en vue de l’emporter sur une force supérieure. Qu’est donc en définitive la Chine ? Un pays du Tiers-Monde ? Un grand pays en développement, comme elle aime encore à se présenter ? Une puissance régionale, focalisée sur sa propre sécurité ? Elle apparaît tour à tour pacifique mais agressive, offensive mais défensive ? On observe qu’elle cherche à tout prix à sécuriser ses approvisionnements énergétiques et sauvegarder des accès sûrs pour ses matières premières importées, d’où sa prudence à l’égard du Soudan dont elle absorbe 80 % des exportations de brut. D’un autre côté à propos de la Corée du Nord, comme d’autres questions internationales cruciales, elle se comporte en « puissance mondiale responsable » (fu zeren daguo).
En définitive, la Chine préoccupe parce que sa montée en puissance a été rapide et qu’elle a su absorber et mettre en œuvre, en un temps record, les règles de l’économie globalisée. Plus encore que le contraste entre libéralisme au plan économique et « raidissement crispé sur un autoritarisme politique hors de saison », ce qui inquiète, c’est « sa manière brutale d’inventer un nouveau modèle de capitalisme d’État, aussi agressif que performant, très différent de l’État-providence, comme de l’État des ultralibéraux ». Il n’est pas certain écrit-il qu’un tel « modèle » fasse beaucoup d’émules en Occident. Mais dans certains pays émergents ou en Russie par exemple, ne l’applique-t-on déjà pas en partie ? La Chine accroît sans cesse son influence dans le monde. Peut-on dire pour autant qu’elle ne sait pas trop où elle va, tout en affectant de considérer que le mouvement balaiera les obstacles sur sa voie. D’où la difficulté de prononcer un jugement tranché sur la Chine qui apparaît aujourd’hui incontournable. Le XXIe siècle devrait être celui de l’affirmation internationale, voire de la domination. En un mot, il est appelé à être le siècle de la Chine ». ♦