Le Bonheur du voyage
Le Bonheur du voyage
Le voyage proposé va à la poursuite d’Europe enlevée par Zeus. Au-delà de la mythologie, Philippe Herzog lance, dans cet ouvrage court et dense appuyé sur de nombreuses références, un plaidoyer en vue de compléter et de raffermir la construction de notre continent. Il s’agit en effet d’une communauté encore fragile, « divisée en États plus rivaux que solidaires » où les élections « escamotent le débat sur les choix de politique européenne » et où les élus strasbourgeois restent encore « trop liés aux oligarchies nationales partisanes ». Bref, l’Europe est considérée comme relevant de la politique étrangère.
Au lieu de rester « enkystés dans des enclos » et de présenter l’Europe comme une contrainte, il faut « sortir de son trou » et voir en elle une chance de trouver notre place dans la nouvelle configuration mondiale. Il convient aussi de ne pas avoir peur de l’élargissement : « l’entrée de nouveaux membres est un formidable apport économique et géopolitique ». L’ouverture vers l’Est peut procurer des « atouts humains remarquables ». Ukraine et Moldavie ont vocation à suivre la Turquie dans un esprit d’universalisme éloigné des « mauvais concepts » d’Europe-puissance et de noyau dur, tandis que « la définition de nouveaux liens avec les pays de la rive Sud de la Méditerranée et du Moyen-Orient est non moins nécessaire et urgente ».
Nous ne devons pas abandonner cette entreprise aux mains d’une élite, car elle est l’affaire de tous au sein d’une société « consciente, active, ambitieuse ». Les mesures à adopter font l’objet d’un catalogue apparemment fort sensé, volontariste sans être révolutionnaire. Elles ne sont pas forcément à copier sur le « cas français où les crises du régime social, de la gestion publique et du système politique font un cercle vicieux » et il importe tout autant de ne pas trop tirer gloire des trente glorieuses qui se déroulèrent dans un contexte très différent de l’actuel. L’Europe ne nous « dispense pas de réformes difficiles ». Force est au contraire de passer en revue l’éventail de nos faiblesses et des remèdes à y apporter, par exemple de ne pas diminuer la dépense publique mais d’en améliorer la structure, d’accompagner (et non d’administrer) la recherche et l’innovation…
Au niveau du continent, les objectifs sont en particulier la consolidation de l’union économique, le renforcement de l’intégration industrielle (sans oublier que les services et l’écologie ne remplacent pas l’usine !), la création d’un marché financier multipolaire et le renouvellement d’un modèle social qui eut ses vertus.
Malgré la vigueur du ton, l’ouvrage ne procède pourtant pas à une critique systématique et nous a semblé proposer plutôt une croissance de la Commission. Cela dit, faut-il vraiment, à la suite d’un fameux référendum, estimer qu’un vote d’agacement des Français a mis l’Europe en panne ? L’événement semble ici, comme dans de nombreuses autres publications, être considéré comme un grave coup porté à la construction européenne et un retard difficile à combler. On pourrait tout aussi bien relativiser et penser que nos compatriotes sont bien contents, dans leur grande majorité, de franchir pacifiquement le pont de Kehl. Tout référendum se transforme en plébiscite et fournit aux mécontents de tout poil de dire leur fait aux appareils pour des motifs purement intérieurs. Ajoutons à cela une méfiance peut-être injuste envers les « technocrates de Bruxelles » accusés de peser sur notre quotidien au point de nous empêcher de fixer le taux de TVA dans la restauration, plus la distribution d’un gros pavé indigeste. Faut-il pour autant parler d’une « crise de confiance » ?
Finalement, Philippe Herzog nous morigène quelque peu pour un écart de conduite véniel, alors que dans l’ensemble nous sommes prêts pour le voyage jusqu’en Crète, les uns en cargo, les autres en supersonique. De toute façon, vu l’actualité, nous n’avons pas fini d’en entendre parler. ♦