Le bouclier antimissiles américain en Europe est devenu en quelques mois un sujet de débat public, d’affirmations contradictoires, voire d’affrontement géopolitique. Au-delà des effets médiatiques, observons qu’il existe des travaux antérieurs sur les questions techniques et opérationnelles qui ont pressenti l’implication militaro-politique maintenant publique. Il est utile de reprendre ces connaissances pour tenter de clarifier le débat. En particulier, de saisir la dimension éminemment multinationale d’une bataille qui se déroule au-dessus du territoire européen sans que ne soit possible une consultation gouvernementale en temps réel. Cette défense se prépare. Elle peut se maîtriser pour autant que l’Europe veuille bien y consacrer un effort minimal qui permet de comprendre, de s’engager et d’apporter une contribution probablement très opportune pour elle.
Une défense antimissiles européenne
A European missile defence
The US missile defence shield in Europe has in just a few months become a subject of public debate, of contradictory statements, and has even gone as far as a geopolitical confrontation. Yet behind the media hype work has been under way on technical and operational issues that have raised the politico-military questions now in the public domain. It is worthwhile looking at some of this technical information in order to clarify the debate. For example, to understand the multinational dimension of a battle which could take place above European territory without any consultation between governments being possible in real time. Plans for this type of defence are under way now. It can be controlled as long as Europe has the will to expend a little effort to understand it, to be involved in it and to bring to it what will probably be a very timely contribution for the continent.
La défense du territoire européen contre les missiles balistiques est devenue ces derniers mois un sujet d’actualité, repris par les principaux journaux, de presse écrite ou télévisés, sous un intitulé plus imagé : le bouclier antimissiles. C’est le prolongement médiatique d’une actualité de plusieurs années pour les spécialistes qui travaillent sur ce sujet depuis le lancement en 2004 de l’étude de faisabilité de la défense territoriale à l’Otan. Ces premiers travaux montrent que derrière la complexité des problématiques on peut apporter des réponses techniques mais également opérationnelles. L’ambition de cet article est d’en tracer les grandes lignes et de contribuer à clarifier le débat en cours.
En 2002, au sommet de Prague, les chefs d’État de l’Alliance atlantique décidaient de lancer une étude de faisabilité visant à examiner les options relatives à la protection du territoire, des forces et des centres de population contre les menaces liées aux missiles balistiques. En 18 mois, une équipe industrielle internationale, dont Astrium en France, livrait une première analyse détaillée sur les points de faisabilité technique, les modes d’engagement possibles, les meilleures architectures et la programmatique associée. Le sommet de Riga entérinait fin 2006 une position d’attente. La faisabilité technique était reconnue, mais seuls des travaux sur les implications politiques et militaires de la défense étaient demandés.
Cette position (ni rejet, ni engagement) qui visait à contenir autant que possible la pression américaine ne résista pas plus de deux mois, le temps pour les États-Unis d’officialiser le 22 janvier 2007 leurs négociations bilatérales avec la Pologne et la République tchèque pour l’implantation d’un site d’intercepteurs et d’un radar de poursuite. Cet engagement américain a eu trois conséquences immédiates qui aujourd’hui influencent les initiatives de l’Alliance sur la défense antimissiles. D’abord celle de relancer, au sein des nations et des cercles de l’Otan, les réflexions sur les conséquences d’un projet dans lequel, nolens volens, ils pourraient être impliqués. Ensuite de créer un affrontement public entre les États-Unis et la Fédération de Russie sur les enjeux sous-jacents et leurs implications supposés ou non sur l’équilibre stratégique des deux grandes puissances nucléaires. Enfin, de considérer que les sites américains pourraient servir de base initiale sur laquelle on développerait une architecture de défense de l’Europe.
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