Ramses 2008
Ramses 2008
Le Ramses est comme le beaujolais : attendu à l’automne, comparé au précédent, goûté des connaisseurs. Le vingt-sixième du nom est un cru renouvelé : de format plus ramassé, accueillant de jeunes et bonnes têtes, partagé en grandes zones géographiques que ne relie plus, comme auparavant, un thème choisi. Après les « perspectives » ouvertes par Thierry de Montbrial et une présentation des « questions mondiales » par Philippe Moreau Defarges, voici l’Europe, le monde russe, le Moyen-Orient, l’Asie, l’Afrique, les Amériques. Quelques pays, sans doute, manquent à l’appel, ce qui se comprend parfois (ainsi de Madagascar ou de la Mauritanie), mais pas toujours (ainsi de l’Indonésie ou des pays de l’ex-Yougoslavie) ; ce sera pour l’an prochain.
Comme à son habitude, le directeur de l’Ifri réussit à rendre claires des choses très compliquées. C’est que la globalisation doit se marier avec la multipolarité et celle-ci avec une hétérogénéité renaissante. La Chine et l’Inde sont des géants en devenir, mais fragiles, cependant que la Russie, ci-devant géant, doit se satisfaire d’être classée parmi les « émergents ». Partout justifié, le pessimisme se focalise sur l’islamisme, que l’auteur préfère baptiser islam politique. Comment en est-on arrivé là ? demande-t-il. Son étonnement étonne, il ne s’agit que d’un retour aux sources, l’islam reste l’islam. Que cette vérité soit ou non bonne à dire, c’est une grave question.
Alors, plus d’espoir ? Si ! il est en Europe, laquelle exerce un pouvoir si soft qu’il passe inaperçu. On peut pourtant rêver, avec Thierry de Montbrial, d’un avenir où l’Union européenne « s’étendra à la planète tout entière. Quelle revanche magnifique pour cette vieille Europe qui a failli se suicider au XXe siècle ! ».
Dans les sept chapitres qui font le gros du livre, nous choisirons selon notre humeur. Dans le premier, qui traite de questions mondiales, on comprendra, grâce à Xavier Timbeau, que le désordre monétaire international est tel qu’on peine à en saisir la cause mais que l’on sait fort bien qu’il ne saurait durer. Jean Klein, pointant un autre désordre, nucléaire celui-là, explique que le TNP est en déconfiture et qu’il est urgent de s’occuper du « deuxième âge nucléaire ».
Sur le rôle de l’Europe, et son poids, l’espérance de Thierry de Montbrial est confortée par Olivier Louis, qui parle « d’ambiguïté créatrice ». La Pologne des jumeaux Kaczynski, au moment où paraissait Ramsès, empêchait de danser en rond ; à l’heure où nous écrivons, les élections d’octobre vont relancer la danse.
« Le Kremlin, dit Georges Sokoloff, réinvente la Russie ». Qu’en résultera-t-il ? Puissance dure ou douce, asiatique ou européenne ? Hélène Carrère d’Encausse est sans illusion, le tropisme asiatique de Moscou n’est qu’un des moyens du retour en force.
Le Moyen-Orient est le pont chaud du monde et l’on voit bien où les braises couvent, où elles flambent, en Palestine, en Irak, en Iran, au Pakistan. On s’inquiète moins de l’Arabie. On a tort, nous dit Antoine Basbous et le roi saoudien, lui, ne s’y trompe pas : « L’Arabie, prévient-il, est sur une poudrière ».
En Chine, on se fait une montagne des Chinois innombrables (Valérie Niquet). Mais le nombre fait-il une montagne et faut-il avoir peur d’un pays gigantesque qui, en matière sanitaire, occupe le 187e rang sur 191 nations ? Quant à la Corée du Nord (Marianne Péron-Doise) c’est l’arme nucléaire aux mains du père Ubu ; rassurons-nous, Ubu est bien malade.
L’Afrique justifie mieux le pessimisme. Son centre de gravité (Darfour-Tchad-RCA) est un centre de cruauté, et sa corne orientale, la corne du diable. Les matières premières dont elle est bien pourvue ne la tirent pas d’affaire et les minerais qu’elle recèle sont parfois, comme le tantale d’Iturie, « une malédiction divine » (Alain Antil). L’Afrique du Sud, qu’on donnait comme modèle et moteur, est rongée par la misère, la maladie, la violence, la corruption (François Lafargue). Un bémol, peut-être, dans la déréliction africaine : la progression étrange des Églises protestantes, et d’abord des évangélistes, qui mordent sur l’islam (Jean-Marc Balencie).
Les Amériques, elles-mêmes, sont un théâtre d’incertitude. Le populisme du Sud n’est pas assuré de son avenir (Olivier Dabène). L’unilatéralisme des États-Unis ne l’est pas plus (Yannick Mireur), sauf, hélas, en Palestine, où la succession de George W. Bush est sans importance, le soutien à Israël étant indéfectible.
L’ouvrage se termine par de précieux « repères ». Foin des spéculations, la parole est aux dates, aux chiffres et aux cartes. ♦