Introduction à la stratégie
Introduction à la stratégie
Un général, un directeur d’entreprise, l’un et l’autre fort cultivés, l’un et l’autre d’esprit philosophique, l’un et l’autre lestés d’expérience professionnelle, discutent aimablement de stratégie. Mauvais sujet où, reconnaît l’un d’eux, « les contradictions et les sentiments côtoient les évidences ». Qu’est-ce donc qui les pousse à en traiter encore et sous un titre déjà célèbre ? Sans doute la conviction que les choses ont changé, que la guerre n’est plus ce qu’elle était, que les travestissements qui en tiennent lieu depuis la fin de la « Seconde Guerre mondiale » mettent aux prises des ennemis désaccordés, dont l’un sait ce qu’il fait et l’autre pas, à moins qu’aucun des deux ne le sache, hypothèse vraisemblable : ainsi en Irak.
La conversation des deux protagonistes est ordonnée en cinq chapitres, correspondant à ce qu’ils tiennent pour les éléments de la stratégie : les finalités, l’autre, soi-même, l’espace et le temps. Les noms sont beaux, moins banals en tout cas que les vocables d’École de guerre. Sans doute regrettera-t-on que la hiérarchie politique-stratégie-tactique soit quelque peu brouillée dans sa partie haute. Mais chacun des chapitres nous offre de fines notations : sur la position du militaire, qui exige, avant de s’engager, de savoir pourquoi il doit faire « quelque chose » ; sur l’imprudence qu’il y a, dans le monde d’aujourd’hui, à croire que « l’autre vous ressemble » ; sur la perfection des moyens modernes du renseignement, qui apportent souvent « de très belles réponses à des questions qui ne se posent plus » ; sur le temps, l’impression qu’il vous fait ; sur la décision, laquelle est, comme tout chef devrait le savoir, irrationnelle ; sur morale et stratégie, où Vincent Desportes se fait provocant, « l’armée ne saurait être qu’un outil amoral ».
Nos deux dialogueurs font la part belle à la pensée stratégique chinoise, qui serait à l’opposé de la nôtre. Leur diagnostic est sans appel, et au bénéfice des Chinois, emmenés par l’inusable Sun Tzu. Ces diables jaunes n’en viendraient-ils pas à attaquer l’ami, au prétexte « qu’il fait moins attention » ? Certes, les auteurs reconnaissent qu’Asiatiques et Occidentaux ne jouent pas dans la même cour. Mais quoi ! Nos façons stratégiques sont l’aboutissement d’un long processus culturel qui a enserré l’affrontement guerrier dans d’étroites conventions. Celles-ci – et maints débordements le prouvent – ne pouvaient être respectées qu’entre gens du même monde, voire entre gens du monde. De là résultent la surprise et l’indignation des Occidentaux au contact d’Orientaux acharnés à secouer leur joug. Où est le mieux ? Accepter la subtile barbarie chinoise, fût-ce pour y faire face, n’est-ce pas se renier ? « D’où parles-tu ? », demande le philosophe moderne. « D’où agis-tu ? », demande Desportes au stratège. « De chez moi, mon général ! ». ♦