Hamlet en Irak
Hamlet en Irak
En choisissant un titre évocateur, Alexandra de Hoop Scheffer, chercheur associé au CERI et enseignante à Sciences Po, prend le pari audacieux de décrire avec rigueur et minutie une situation dont l’absurde n’a d’égale que le tragique. Le dilemme de George W. Bush et des faucons, face au bourbier irakien, qui caractérisait également les différentes administrations précédentes, qu’elles aient été démocrates avec Bill Clinton ou républicaines, équivaudrait à celui d’Hamlet s’entêtant à vouloir venger son père. Ressemblance hélas, quand on considère l’obstination avec laquelle le fils a cherché à « terminer » la besogne péniblement menée par le père, Georges Bush, en 1991, mais stoppée à mi-chemin de Bagdad.
L’ouvrage égraine ainsi les erreurs stratégiques, les contradictions idéologiques et les atermoiements politiques qui, par messianisme démocratique, d’origine wilsonienne mais réinterprété par les milieux néo-conservateurs, ont mené les armées américaines sur les bords du Tigre et de l’Euphrate.
« To stay or not to stay » en Irak, telle serait dès lors la tragédie shakespearienne qui se joue au quotidien depuis mai 2003. Jeu macabre, qui n’est ni la guerre ni la paix, qui a déjà fait 3 000 victimes américaines, et qui fait plus de 100 victimes civiles irakiennes tuées chaque jour, en moyenne…
L’auteur détaille l’évolution, parfois chaotique, des concepts doctrinaux qui ont façonné la politique de défense des États-Unis ; du containment hérité de la guerre froide au shaping et au regime change propres à anticiper, voire à conditionner l’ennemi sur le champ de bataille. Autant d’expressions d’une velléité « hybride » de puissance, dans un monde faussement multipolaire.
Basculement intellectuel et sémantique aussi, qui veut que la gestion post-crise et le nation building, buts de la paix, en premier lieu desquels la reconstruction, éléments de base de l’état de droit, soient devenus secondaires, voire impossibles à réaliser tant que les forces armées sont aux commandes.
La terrible tragédie se joue sur fond de crise de légitimité de l’actuelle stratégie militaire américaine, à l’épreuve de l’insurrection, des influences extérieures et par voie de conséquences, des jeux d’acteurs locaux devenus les principaux écueils à la stabilisation et la paix.
Apparaît ainsi en creux du discours officiel, derrière « l’interventionnisme constructif », celui nettement plus tendancieux qui voudrait que Washington navigue le plus souvent à vue, sans plan alternatif, ni base de repli élaborée, et ce malgré le changement de cap que semblait porter la nouvelle stratégie américaine pour l’Irak, dévoilée en janvier 2007. Les dernières déclarations de la Maison-Blanche, désormais aux prises avec un Congrès de plus en plus réticent à couvrir les erreurs doctrinales de son hôte, ne laissent que peu d’espoirs d’évolutions positives, du moins jusqu’aux prochaines élections de 2008. ♦