La guerre probable. Penser autrement
La guerre probable. Penser autrement
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Hitler aurait dit à ses généraux qu’il ferait tomber la guerre des mains des démocraties. Il le fit le temps de la campagne de France, avant que les So Few de la RAF ne la lui arrachent à leur tour. Un demi-siècle plus tard, les nouveaux barbares nous contraignent à venir sur leur terrain, alors que l’accumulation de sciences, de savoir, de technique et de réflexion qui sont les nôtres devrait conduire à l’inverse. Ce que le Führer n’avait pas réussi à faire, Ben Laden et Al-Qaïda y sont parvenus en quelques années.
Comment en est-on arrivé là ? Comment, plus de deux millénaires après Thucydide, l’Europe, enfin en paix avec elle-même, se retrouve-t-elle piégée par des guerres qui ne sont plus les siennes ? Dans ce contexte, à quoi servent les armées européennes ? Voilà la question à laquelle tente de répondre le général Vincent Desportes. Elle est celle qui devrait occuper la Commission Mallet et tous les décideurs politiques auquel l’ouvrage est destiné. Mais comprennent-ils seulement ce qu’est la guerre ?
Certes celle-ci peut être vue comme un phénomène historique ; mais les Européens démontrent depuis 1945 que la fatalité de la guerre n’en est pas une, qu’elle ne relève pas d’un déterminisme universel. L’idée de guerre probable ne serait-elle pas la vision états-unienne d’un monde hobbésien, comme les neocons aiment à l’écrire ? Les politiques ne cherchent-ils pas à sauver la guerre en nous faisant croire qu’elle a changé de nature, et que les attentats du 11 septembre 2001 sont le nouveau déterminant de l’histoire ?
On peut trouver que le général Desportes sacrifie un peu sur ce point au discours ambiant, mais c’est assurément pour tenter de sensibiliser ceux qu’il cherche à convaincre et mieux leur démontrer leur erreur. Droit d’ingérence ou nation building ne veulent plus rien dire lorsqu’il s’agit de gérer des populations au milieu desquelles nos soldats n’ont historiquement rien à faire depuis la décolonisation, et où nos adversaires évoluent – comment en serait-il autrement et pourquoi s’en étonner, ils sont chez eux et nous y sommes également ? – comme des poissons dans l’eau. Car ce fervent lecteur de Foch et de Gaulle qu’est l’actuel patron du CDEF sait bien que par-delà les concepts, les modes et les époques, la guerre reste la guerre. En tous les cas, c’est bien ainsi que la comprennent nos adversaires, et c’est pour cela qu’ils nous ont piégés avec leur Blitzkrieg terroriste.
Nos armées et nos gouvernements otanisés se sont précipités dans la nasse, comme Gamelin en Belgique. On sait le général Desportes depuis longtemps critique lorsqu’il aborde le délire technolâtre américain : il le redit longuement dans son dernier opus. Les généraux américains sont, comme les nôtres en 1940, « vaincus par leur doctrine » (Charles de Gaulle). Cette faillite n’est-elle pas celle de leur pensée managériale, celle d’un monde modélisable et maîtrisable dans laquelle ils ont intégré leur guerre technologique ? Aussi le barbare ne se place pas simplement hors de portée de nos armes, il sort surtout de nos modèles théoriques et de ce déterminisme étroit et verrouillé qui, par définition, ne conçoit pas d’alternative à sa vision du monde. Les politiques, qui ont abdiqué devant la « globalisation », sont bien incapables de le comprendre. Le résultat, qui trouble le général Desportes et nous déconcerte, c’est la défaite militaire de l’Occident, prélude à une autre débâcle, de civilisation cette fois.
Comment en sortir ? Comment faire en sorte que demain nous choisissions le terrain et y attirions l’adversaire pour l’y battre, comme nous savions le faire autrefois ? En ces temps d’adoration béate de l’Amérique, et alors que les petits marquis atlantistes au pouvoir cherchent à nous vassaliser à un modèle qui échoue lamentablement, le général Desportes ne prêche-t-il pas dans le désert lorsqu’il exhorte à sortir d’un mode de pensée aberrant ? Penser autrement, oui ! Mais avec qui aujourd’hui, en France ? ♦