L'Océan globalisé - Géopolitique des mers au XXIe siècle
L'Océan globalisé - Géopolitique des mers au XXIe siècle
La mer est au cœur de la mondialisation du fait de son rôle dans les échanges commerciaux et l’exploitation des ressources. La souveraineté des États y est symbolisée par la puissance navale, mais la réalité est beaucoup plus complexe. Il y a aujourd’hui de multiples centres de décisions qui échappent au contrôle d’un seul état. Il est paradoxal de constater que même les États-Unis, hyperpuissance navale, n’ont plus les moyens de contrôler les acteurs économiques. Or, la politique maritime ne peut pas être séparée de la stratégie navale. Dans son essai, M. Coutau-Bégarie montre que nous avons besoin d’une véritable géopolitique qui unifie géoéconomie et géostratégie ; géopolitique qu’il esquisse en détaillant divers aspects sous l’angle militaire.
Source de richesse, la mer représente un poids économique considérable : la pêche connaît une croissance exponentielle, mais est menacée par la disparition des espèces en l’absence de gestion internationale ; les ressources énergétiques et les minerais constituent des réserves énormes mais posent de multiples problèmes de délimitations de frontières maritimes ou de zones exclusives entre les États. Cette course à la richesse entraîne une évolution de la liberté des mers au-delà des eaux territoriales : un nouveau droit international de la haute mer est en train de naître.
La mer est aussi une voie de communication où le trafic de marchandises venant d’Extrême-Orient augmente de façon exponentielle. La hiérarchie portuaire mondiale est bouleversée : les quatre premiers ports mondiaux sont désormais en Asie. La construction civile est également accaparée par la Corée, le Japon et la Chine. Parallèlement, on assiste au déclin des chantiers de navires civils et des pavillons en Europe qui ne conserve que le leadership de l’armement. Les intérêts se sont donc dispersés, entraînant un affaiblissement progressif des États et rendant difficile la surveillance des flux.
Dans ce contexte, la tétralogie des missions navales établie en 1974 par l’amiral Zumwalt (dissuasion, maîtrise des mers, projection de puissance et présence) reste valide, mais il manque aujourd’hui la dimension de la protection face aux menaces de narcotrafic, d’immigration clandestine, de piraterie, de terrorisme, de proliférations et d’atteintes à l’environnement. En France, la lutte contre ces menaces, regroupée sous le terme de « Sauvegarde maritime », constitue une catégorie à part entière au même titre que les autres missions. La doctrine en reste encore assez floue et demanderait une réflexion plus systématique à l’échelle internationale.
La fin de la menace en haute mer et cette nouvelle mission se traduisent par une « transformation » des moyens navals. Les États-Unis conservent la première flotte militaire mondiale, mais elle est sur le déclin. L’idée centrale des Américains est de cesser de penser en nombre de navires pour raisonner en termes de mise en réseau des senseurs et des armes des navires afin d’en compenser la diminution, de contourner difficultés budgétaires actuelles et d’influencer les autres marines occidentales (c’est le projet Thousand ship navy).
L’Europe navale a une carte à jouer. Cependant, malgré des opérations ponctuelles, la constitution d’un Battle group européen dans le cadre de la PESD est laborieuse ; l’emprise de l’Otan est un obstacle majeur. Une relance par le concept de sauvegarde maritime pourrait être l’occasion d’une réflexion aboutissant à un Livre blanc sur la puissance navale européenne. Mais la mutualisation des capacités n’a de sens que si celles-ci sont conservées au niveau national. En cela, si la France ne donne pas l’exemple d’un investissement réel, les autres membres n’auront aucune raison de répondre à ses avances car il ne faut perdre de vue une vérité première : il n’y a pas de stratégie sans moyens.
Un atout pour l’Europe est son industrie navale militaire, mais c’est un colosse aux pieds d’argile face à la montée des appétits industriels des pays asiatiques. La restructuration nécessaire s’annonce difficile. À la différence des États-Unis d’Amérique il n’y a pas de marché unique ; et les petits chantiers qui seront fermés n’ont rien à gagner à la restructuration. Devant ces difficultés, la consolidation s’est d’abord faite sur des bases nationales : en France DNCS qui s’est associé avec Thales, et en Grande-Bretagne où il ne subsiste plus que deux grands chantiers intégrateurs : BAE system et VT Group. Cette réforme est encore incomplète et de nombreux problèmes restent à régler pour que le futur grand groupe européen soit à l’image d’EADS, en particulier concernant la gouvernance car chaque pays (France, Grande-Bretagne, Italie, Allemagne, Espagne) y revendiquera une position de leader. ♦