Revue des revues
• Europaïsche Sicherheit, n° 10/2007 : « Discuter concrètement et calmement de la sécurité intérieure ».
Discuter concrètement et calmement de la sécurité intérieure est nécessaire, selon R. Clement (1). La bonne coopération internationale en renseignement et l’activité des polices allemandes ont déjà évité maints attentats ici. Autorités et policiers restent vigilants, mais dès qu’un laps de temps s’écoule sans événement grave, la population pense, peut-être plus vite qu’une autre, que la menace a disparue. Erreur ! Quoique latente, elle reste permanente. Croire que les attentats islamistes en Europe ont « seulement » pour but d’entraîner un changement de politiques occidentales est archifaux ; seuls les attentats de Madrid ont, par ricochet, obtenu ce résultat. En fait, ces attentats procèdent d’une volonté affirmée de renverser nos sociétés et de leur imposer l’ordre islamiste.
Tout le nécessaire est-il fait pour la sécurité intérieure ? Ici, les uns avancent hâtivement force propositions, souvent aventureuses ; d’autres estiment sauver l’état de droit en s’opposant farouchement à toute protection supplémentaire. Il conviendrait pourtant d’en discuter concrètement au lieu de se jeter à la tête des slogans et des invectives. Quelles possibilités permet déjà la réglementation actuelle ? Que doit-on effectivement modifier ? Et à quoi ne doit-on pas toucher dans la Loi fondamentale ? (Comme la séparation des rôles respectifs des services spéciaux et de la police).
Exploitons d’abord à fond toutes les possibilités qu’offre la législation actuelle et, surtout, ne rien proposer pour le simple plaisir de changer. Ainsi, on se dispute fort actuellement à propos de « fouilles sur l’Internet ». Sont-elles indispensables ? Restons concrets et demandons aux Länder qui les pratiquent déjà quels sont les résultats pratiques obtenus par ce moyen. Il sera temps alors de discuter calmement de l’extension ou non du procédé à l’échelon fédéral. La réglementation actuelle permet déjà d’intercepter les fax des terroristes au même titre que leurs conversations téléphoniques. La saisie des disques durs d’ordinateurs trouvés lors de perquisitions permet déjà leur exploitation approfondie.
La justice ne peut agir que contre un crime commis ou tenté. Or, il est essentiel de mettre hors d’état de nuire les terroristes avant qu’ils ne passent à l’acte. On devrait peut-être établir de nouveaux chefs d’accusation, comme « le séjour en camp de formation terroriste à l’étranger », mais la formulation est à rédiger avec soin car un candidat chassé pour inaptitude doit pouvoir rentrer libre en Allemagne, à moins qu’il ne s’agisse d’un camouflage de ses activités futures.
La Cour constitutionnelle a repoussé une « Loi sur la sécurité aérienne » parce qu’elle prévoyait d’abattre un appareil civil piraté en vol par des terroristes prêts à le crasher, par exemple sur un stade bondé. Pour le ministre de la Défense, ce serait « un cas d’urgence au-delà des lois ». Certes, mais surtout théorique : comment connaître cette intention à temps pour que la Luftwaffe intervienne ? Reste que, pour empêcher des catastrophes tombant du ciel, on a besoin d’une Loi sur la sécurité aérienne efficace.
De tout cela, il faudrait pouvoir débattre posément, bien loin des énervements des campagnes électorales de 2008 à Hambourg, en Basse-Saxe et en Hesse. Ces deux derniers vastes Länder sont gouvernés par la CDU qui entend capitaliser sur sa compétence reconnue en matière de sécurité intérieure ; les électeurs y sont sensibilisés, mais le SPD croit pourtant devoir faire preuve de « libéralisme » en matière de sécurité.
« Dans ce climat, prendre des décisions adéquates s’avérera difficile. Reste à espérer que les policiers et gens des services spéciaux sauront garder la maîtrise de leurs nerfs ».
• « Sécurité en mer : défense contre le terrorisme dans les eaux territoriales et en haute mer ».
Pour un État moderne et développé comme l’Allemagne, la liberté des voies maritimes est vitale. Elle y contribue au loin dans le cadre de l’ONU et de l’Otan et devra poursuivre cette action. L’amiral S. Hess (2) rappelle la nécessité de se protéger contre les multiples risques pouvant atteindre les côtes à partir de la mer : intempéries graves, accidents, pollutions, piraterie, criminalité organisée (trafics de drogue, d’armes, d’êtres humains…) et terrorisme. Devant les 2 400 kilomètres de côtes allemandes défilent annuellement quelque 400 000 navires, dont 100 000 environ y abordent. Des terroristes peuvent profiter de ces mouvements pour introduire des agents, des armes et explosifs (« bombe sale » pas exclue) ou faire exploser dans un port ou sur une exploitation pétrolière un bateau qui créerait des dommages considérables. Des djihadistes ont maintes fois prouvé ailleurs qu’ils savaient s’attaquer à des navires — y compris militaires — en route ou au port.
Assurer la sécurité dans les eaux territoriales et en zone économique exclusive est un impératif. Divers instruments existent pour se protéger, mais ils sont insuffisants et mal employés. Il faut exercer une surveillance constante, procéder à des contrôles, des arraisonnements, perquisitions, arrestations…
Hélas ! « Ceux qui en ont la responsabilité (les polices) ne disposent pas des moyens nécessaires et celui qui possède des capacités importantes (la Marine) n’est pas habilité à les employer ».
Législation disparate et touffue ; imbroglio de compétences réparties entre 5 Länder, 5 ministères fédéraux « civils » et au moins autant d’autorités indépendantes « appelées à coopérer » (seulement).
Moyens insuffisants : 29 vedettes à court rayon d’action de la police des eaux des 5 Länder ; et 25 navires appartenant à la police des frontières, la douane, les services de la navigation ou des pêches. Aucune de ces embarcations n’a d’armes lourdes à bord ; seulement les armes individuelles du personnel embarqué.
Jusqu’à présent, les efforts de coordination menés par les transports ont seulement permis de réunir ces 25 navires des services fédéraux en une sorte de Küstenwache (Garde côtière) en 1994 ; la création du Havarienkommando (état-major des avaries) en 2003, cinq ans après l’incendie au port d’un grumier ; l’absorption par le Centre de sécurité maritime de Cuxhaven du Havarienkommando, en 2007 (il est doté d’un Centre commun de situation qui servira aussi, pour les navigateurs, de point d’appel en matière de terrorisme). La Marine n’est pas partie à l’accord entre Bund et Länder, mais elle détache un officier de liaison à ce Centre de situation.
De simples amendements à quelques lois ordinaires ou certaines modifications de décisions du gouvernement permettraient des améliorations intéressantes.
Constituer, à partir des 25 bateaux actuels, une véritable Küstenwache disposant d’un armement plus puissant. Son commandement central dirigerait toutes les opérations de ses bateaux, quelles qu’en soient la provenance et leur mission particulière du moment. Les gardes côtières des voisins s’adresseraient systématiquement à ce commandement central, au lieu de devoir chercher à quel service allemand s’adresser selon la question à traiter.
Limiter la responsabilité des polices des eaux de Land aux eaux intérieures et aux zones portuaires ; mieux ciblée, leur activité gagnerait en efficacité.
La Loi fondamentale interdit hors guerre d’employer les armes dans le périmètre national, sauf sur demande « d’aide administrative ». La Marine ne demande pas pour elle des pouvoirs de police courante, mais elle aimerait disposer des mêmes facilités que l’US Navy : ses navires en mission de surveillance embarquent une équipe de coast-guards habilitée à procéder à toutes investigations policières sur les bateaux rencontrés.
Aucun laxisme n’est tolérable face aux menaces terroristes. Devant les côtes allemandes, les contrôles sont insuffisamment serrés. La Marine pourrait jouer un rôle bien plus important pour peu qu’elle en reçoive l’ordre. Et, en cas de crise, il ne suffira plus de « coordonner » des autorités « appelées à coopérer » mais de réaliser une unité de commandement pour employer au mieux tous les instruments disponibles.
N’attendons pas que les dommages considérables consécutifs à un attentat majeur sur les côtes allemandes ou à proximité fassent regretter l’absence d’une loi sur la sécurité en mer. Il s’agit de répartir autrement les attributions respectives de l’État fédéral et des Länder dans le respect du Droit international et de préparer le meilleur emploi possible des moyens en cas de crise.
Cette situation exige d’urgence une action politique : « L’actuelle législature se doit de préparer une telle loi et de la voter, car il s’agit de mieux assurer la défense de la patrie dans les mers côtières ainsi que la préservation des intérêts allemands en haute mer ». ♦
(1) Journaliste, spécialiste de la sécurité, membre de la rédaction en chef de Deutschlandfunk.
(2) Konteradmiral (3 étoiles) de réserve ; il fait partie de la direction de l’Institut allemand de Marine et préside l’Association allemande d’Histoire de la navigation et de la Marine.