Les cicatrices des Nations. L'Europe malade de ses frontières
Les cicatrices des Nations. L'Europe malade de ses frontières
On ne présente pas Salomé Zourabichvili depuis que notre compatriote est devenue ministre des Affaires étrangères de Géorgie entre mars 2004 et octobre 2005. Depuis lors, fâchée avec le pouvoir en place, elle est une des figures de l’opposition. Son ouvrage est à lire à un moment où le Caucase risque de nouveau de s’embraser, et où l’Europe hésite, via l’Otan, à s’impliquer dans la région. Car derrière les litiges territoriaux se pose la question de la frontière de l’Europe ? Va-t-elle jusqu’au Caucase et même au-delà, puisqu’elle se bat désormais sur l’Indus ? Or cette question est celle de l’identité européenne.
Salomé Zourabichvili insiste à titre liminaire sur ce que les Européens ne veulent pas voir : ce qu’ils édifient depuis 1945 est sans précédent et sans équivalent dans le monde. L’Europe, c’est la paix entre les nations qui la composent, et cette paix veut dire, pour la première fois dans l’histoire et sans « préempter » un futur toujours incertain, la non-guerre. L’Europe c’est également la démocratie sans rémission. Mais l’Europe, jusqu’où ? Et derrière cette question, l’Europe, c’est qui ? Peut-elle se définir uniquement sui generis par ce qu’elle réalise, voire de manière purement tautologique comme le fait la Déclaration de Berlin de 2007 reproduite en ouverture de l’ouvrage ?
Le problème des Européens est que ce qu’ils font les dépasse. Voilà notamment pourquoi la question de la Turquie nous tracasse tant. La Sublime Porte, ex-homme malade de l’Europe, a certes un problème d’identité, mais ce n’est finalement que le nôtre. La Turquie est-elle européenne, où va-t-elle nous aider à nous définir ? Cercle vicieux qui dure depuis quarante ans. « Et l’Europe d’hésiter entre une frontière qui la projette et une frontière qui la protège, sans réussir à choisir. » L’Europe espère secrètement que ses voisins y répondront à sa place, en lui signifiant la fin de son expansion territoriale. Les disputes avec une Russie désormais privée de ses marches n’ont pas d’autre objet. Voilà finalement trois grands pôles qui se posent la même question : « Qui suis-je ? »
Bien sûr il y a dans l’ouvrage de Salomé Zourabichvili le cas de la Géorgie, si lointaine par la distance, si proche par la culture. Mais derrière le plaidoyer pro domo, c’est encore et toujours le même problème à résoudre ; à Bruxelles, pas à Tbilissi ! Comment prétendre d’ailleurs avoir une politique étrangère, si on ne commence pas par dire « l’en dedans » de « l’en dehors » ? Comment surtout conseiller les autres si l’on ne sait pas décider pour soi ? C’est cette indécision, relève Zourabichvili, qui est « le péché de l’Europe », n’en déplaise aux eurocrates qui font porter aux opinions la responsabilité d’échecs dus à leur seul manque de courage.
C’est pourquoi Salomé Zourabichvili nous propose de résoudre la quête identitaire de l’Europe par la fixation de ses frontières, géographiques bien sûr, mais aussi juridiques, commerciales, culturelles… L’Union ne pourra encore longtemps se définir empiriquement par ses seuls droits et libertés, quand bien même ceux-ci n’auraient aucun équivalent. La définition de la frontière sera cet « acte libératoire » que Valéry Giscard d’Estaing appelait également de ses vœux lorsqu’il déplorait que sa future constitution ne soit pas précédée d’une « Déclaration d’indépendance européenne ». Il faut faire vite. ♦