Colin S. Gray ne veut pas que la guerre soit morte. Le XXIe siècle résonnera encore de ses fureurs. Rien de nouveau sous le soleil. Ni l’arme nucléaire, ni le terrorisme, ni l’ONU n’y changent quoi que ce soit. La guerre, c’est la guerre. Bigre !
Parmi les livres - Tremblez ! Bonnes gens
En ce quarantième anniversaire de mai 68, Colin S. Gray lance un fameux pavé : 415 pages d’une typographie serrée (1). Si le pavé se révèle solide, c’est un monument littéraire. Il se peut aussi que, mis à l’épreuve du marteau de géologue, il n’en reste qu’un petit gravier. Tel est ici le cas. À quoi s’ajoute que, même ainsi réduit, ce livre est dangereux. L’illustration de couverture vous en prévient : un doigt posé sur le Bouton Rouge. De si graves accusations devront pourtant être étayées, tant est grande la réputation de Colin Gray, auteur d’une vingtaine d’ouvrages, professeur ès stratégie et conseiller du gouvernement américain ce qui, il est vrai, n’est pas la meilleure référence. Assez de méchancetés, venons aux faits !
La thèse est simple. Elle porte sur l’avenir de la guerre. Selon le credo actuel, les grands conflits armés entre États sont périmés. Faux ! rétorque notre homme. Rien, sinon l’histoire, ne permet de prévoir l’avenir. Que dit donc l’histoire, depuis 3 000 ans qu’elle parle ? Que la nature de la guerre est immuable et, ajoute l’auteur, ce n’est pas demain qu’elle changera, CQFD. La thèse est détaillée — pour l’essentiel au chapitre 5, consacré à la guerre « régulière » — en cinq points, cinq réfutations des motifs généralement avancés pour enterrer la guerre : la guerre reste efficace, conservant la fonction décisive qu’elle a toujours remplie (p. 25 et 323) ; il n’y a pas de signe que la démocratie et le libéralisme, dans leur marche triomphante, poussent le monde vers la paix ; la vertu pacificatrice de l’arme nucléaire n’est rien moins qu’assurée ; on ne comptera pas non plus sur la paix par l’empire, américain par exemple ; enfin l’horreur que la guerre suscite aujourd’hui n’est qu’une faiblesse coupable de l’Occident, « îlot de paix dans un océan de désordre ». Le futur ne se démontrant pas, ces affirmations sont à prendre telles quelles. Elles se renforcent pourtant de quelques hypothèses matricielles sur les guerres à venir entre États, dont la principale met aux prises un bloc russo-chinois et les États-Unis, et, la plus inattendue, l’Amérique et l’Europe.
L’auteur présente bien en introduction, et reprend en conclusion, ce qu’il nomme un argumentaire. Celui-ci est en sept propositions (M. Gray affectionne les énumérations chinoises) qui caractérisent le phénomène guerre : la guerre est le propre de la condition humaine ; constante dans sa nature, elle varie dans ses formes ; ces variations ne sont pas linéaires, elles interviennent par surprises ; les conflits entre États ne manqueront pas de revenir ; la guerre est un comportement politique ; social et culturel aussi ; la maîtrise de la guerre est une louable ambition, mais bien aléatoire.
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