Le 14 octobre 2008, la Marseillaise a été sifflée par une frange hostile du public du Stade de France, en ouverture d’un match de football qui se voulait amical entre les « Bleus » et l'équipe nationale de Tunisie. L’effervescence politique et médiatique a été grande autour de l’événement, qui n’était qu’un triste remake du match France-Algérie de 2001, où l’hymne de Rouget de l’Isle avait été déjà bafoué. Les politiques ont condamné en cœur. Certains éditorialistes ont pris la défense des « jeunes » irrespectueux ; mais s’est-on posé les bonnes questions concernant cet outrage ? Tentative d’éclaircissement…
Aux armes, et caetera
« Car, moi, je respecte d’abord ce qui dure plus que les hommes »
Antoine de Saint-Exupéry : Citadelle (Chapitre VI), Œuvres complètes II
Rouget de l’Isle se serait-il imaginé le succès « polémique » de son Chant de guerre de l’armée du Rhin, commué par la République française en hymne national ? L’auteur de la Marseillaise, qui écrivit aussi — soit dit en passant — un hymne royaliste sous la Restauration Vive le Roi ! (qui n’eut pas l’heur de plaire à Louis XVIII), aurait-il imaginé que le peuple français allait si longtemps se déchirer autour de son chant guerrier, dont le texte évocateur se compose — tel un cadavre exquis de circonstance — de phrases empruntées à des affiches de conscription du début des années 1790 ? Rouget de l’Isle aurait-il pu imaginer qu’il deviendrait un jour possible de comprendre l’histoire de France à travers les diverses agressions et polémiques autour de ce qu’il appelait lui-même — plein de fausse modestie — sa « vieille sornette » (dans une lettre au compositeur italien Cherubini). Une « vieille sornette » qui est devenue l’un des hymnes nationaux les plus connus, et les plus revisités, à l’instar de la sublime Bannière étoilée américaine : depuis la transcription pour violon seul de Stravinsky, jusqu’à la Marseillaise reggae de Gainsbourg ; depuis l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski jusqu’à la chanson All you need is love des Beatles qui s’ouvrent toutes les deux par le fameux chant révolutionnaire ; depuis l’arrangement d’Hector Berlioz jusqu’à la version de Django Reinhardt portant le délicieux titre d’Echoes of France.
Rouget aurait-il songé que sa « vieille sornette » allait drainer mille débats ces dernières années ? On se souvient du tollé provoqué dans les années 70 par la volonté de l’accordéoniste Valéry Giscard d’Estaing de modifier légèrement la musique de l’hymne national. On se souvient des débats accablants qui ont entouré le vers « Qu’un sang impur abreuve nos sillons » lors du bicentenaire de la Révolution française en 1989. L’abbé Pierre déclarant à cette occasion : « Changeons en message d’amour les paroles de haine de la Marseillaise ! ». On se souvient aussi, en 1992, du « choc » des Français redécouvrant le texte de Rouget de l’Isle chanté par une innocente fillette, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver d’Albertville. La « vieille sornette » fut alors jugée « belliciste » et « xénophobe ». On se souvient encore des discussions sans fin, en 1999, autour d’une éventuelle entrée de Rouget au Panthéon… Le tournant des années 2000 voit s’éloigner le débat sur le texte même de l’hymne national, et un consensus politique est retrouvé : Jean-Louis Debré (UMP) déclarant en 2005 lors d’un colloque sur la Marseillaise, « De même que l’histoire ne se refait pas, nous n’avons pas à réécrire notre hymne selon le goût du jour » ; le communiste Maxime Gremetz renchérissant, « Ce serait comme toucher à notre patrimoine » ; et le socialiste François Hollande bouclant la boucle, « La gauche s’est toujours reconnue dans la Marseillaise ». Si, avec bonheur, les débats doucereux sur les « soldats féroces » et le sang qui « abreuve les sillons » se sont éloignés, les années 2000 ont vu l’émergence d’un nouveau « folklore »… La très mauvaise habitude d’une partie des hooligans du Stade de France de siffler cette « vieille sornette », lors de la solennelle cérémonie des hymnes nationaux qui ouvre les matchs de football.
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