La décision russe de suspendre sa participation au Traité sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE) pourrait apparaître comme le dernier coup fatal asséné à un traité qui incarne à lui seul un paradoxe, celui de sa qualité de « pierre angulaire de la sécurité européenne » alors que pourtant il fut élaboré dans le contexte de la guerre froide. Néanmoins, il serait aventureux d’annoncer sa mort, tant le Traité FCE a réussi à survivre à une multitude d’infortunes qui auraient dû, en toute logique, précipiter sa fin.
Les avatars du Traité FCE
The ups and downs of the CFE Treaty
Russia’s decision to delay application of the Treaty on Conventional Armed Forces in Europe (the CFE Treaty) might seem the final, fatal blow to a treaty that is paradoxically described as ‘the cornerstone of European security’ even though it was drawn up during the Cold War. Nevertheless one would be rash to announce its demise: the CFE Treaty has managed to survive a host of misfortunes that should logically have put an end to it.
Pour les spécialistes du désarmement classique, les tergiversations russes pour appliquer le Traité sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE) (1) s’expliquaient, en grande partie, par la volonté de Moscou de conserver des moyens militaires significatifs pour contrer tous les pays (notamment la Géorgie) que la Russie considère comme hostiles. Quoi qu’il en soit, le 14 juillet 2007, le président russe Vladimir Poutine signait officiellement le décret reportant sine die l’application du Traité. Depuis la signature le 10 novembre 1990 du Traité FCE et son entrée en vigueur provisoire le 17 juillet 1992, le moratoire russe ne constitue qu’une énième péripétie. La caractéristique fondamentale de ce Traité, négocié dans une logique de blocs (Otan versus Pacte de Varsovie) en période de guerre froide, est bien celle d’avoir survécu à une multitude d’événements (dissolution du Pacte de Varsovie rendant de facto inopérant l’équilibre institué par le Traité entre les deux alliances, disparition de l’Union soviétique, guerres dans le Caucase et surtout élargissements de l’Otan) qui auraient dû, en toute logique, précipiter sa fin. Il a réussi, malgré tout, à subsister.
L’application du Traité, depuis le début des années 90, se heurta à deux difficultés majeures, soulevées par la Russie : d’une part, la question de la « règle des flancs » et, d’autre part, l’équilibre du Traité, perturbé par l’intégration des anciens pays satellites dans l’Otan. Ces difficultés s’inscrivaient dans les deux problématiques les plus importantes aux yeux de la Russie : sa politique de sécurité dans le Caucase et la question de l’élargissement de l’Alliance atlantique. Afin de prendre en compte ces nouvelles réalités géostratégiques, les États parties au Traité signèrent à Istanbul en novembre 1999 le « Traité FCE adapté », qui, néanmoins, n’est jamais rentré en vigueur car les conditions sine qua non à son application, en l’occurrence le respect par la Russie des règles des flancs issues de l’ancien Traité, ne furent jamais totalement assurées (2). En dépit d’une distorsion manifeste entre l’évolution d’un traité poursuivie dans une logique d’alliance à alliance et la situation réelle, c’est bien l’ancien FCE qui a continué à fonctionner. La concurrence entre les deux a, en fait, indéniablement contribué à une certaine confusion.
Le problème de la cinquième « zone virtuelle »
Bien que non-inscrite en tant que telle dans le Traité, l’expression « zone des flancs » fut utilisée dès le début pour qualifier cette zone à côté des quatre autres subdivisant le continent européen. Les dispositions de l’article V du Traité relatives à la règle des flancs fixaient des sous-plafonds d’équipements limités par le Traité (ELT) terrestres en unités d’active. Ses dispositions entendaient limiter la capacité de l’URSS à concentrer ses forces dans les régions militaires de Leningrad et du Nord Caucase en Russie, et celles en Géorgie, en Arménie et en Azerbaïdjan. L’article IV ajoutait à ces limites l’interdiction de placer dans la région des flancs des équipements terrestres en dépôt surveillé, faculté ouverte partout ailleurs. La question de la règle des flancs a été l’un des problèmes les plus aigus dans le cadre des relations entre, d’une part, la Russie — et à un degré moindre l’Ukraine — et, d’autre part, l’Alliance atlantique.
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