La pierre qui parle
Marie Gatard ne procède pas à une simple énumération de destins tragiques parmi ceux des 320 agents de renseignement, hommes et femmes, dont le nom figure sur le mur du mémorial de Ramatuelle. Il s’agissait de personnages aussi divers que possible en origine sociale, en âge, en parcours scolaire et professionnel… ayant pour la plupart mené auparavant une « vie plutôt banale », à l’héroïsme en quelque sorte improvisé et qui tous payèrent de leur vie un engagement dicté par le patriotisme et la volonté de résister. Après une préface courte, mais émouvante de Max Gallo, l’auteur évoque le recrutement, les actions, l’arrestation et l’exécution de bon nombre d’entre eux.
Elle sait le faire avec cœur, mais dans un style alerte peuplé de commentaires et d’anecdotes, et sans manichéisme excessif. Rien dans ce tableau n’est « tout noir ou tout blanc ». Après la débâcle du printemps 40, Weygand, Rivet, Paillole et bien d’autres créent et organisent, derrière la façade, des services de renseignement et de contre-espionnage clandestins. Tandis que règne une « foire d’empoigne » dans l’Alger de 1943 et que le Sultan du Maroc adresse à Hitler une stupéfiante lettre d’allégeance, Vichy joue plus ou moins le double jeu, au point de parvenir à cette curieuse missive de Pétain revendiquant le pouvoir d’après Libération : « Sénilité, naïveté, canular » ? Après tout peut-être une des solutions possibles ! Nos compatriotes ne sont pas tous exemplaires : on note des dénonciations et « des mégères aux fenêtres » pour indiquer aux poursuivants la piste des fuyards. Les agents de la Gestapo font subir des tortures inqualifiables contre lesquelles il faut tenir le temps suffisant pour que les camarades soient alertés et disparaissent… ou encore livrer sans le savoir des informations fausses fournies par des patrons machiavéliques pour intoxiquer l’adversaire ! Il y a enfin un « aspect chevaleresque dans un contexte d’ignominies » et un salut à Canaris et aux « seigneurs » de l’Abwehr.
La lecture des dernières lettres des condamnés est poignante, mais aussi surprenante par la sérénité affichée, s’agissant le plus souvent de jeunes à l’orée de leur vie et en outre en des temps proches du retour à une vie normale pour l’ensemble de leurs congénères. À signaler aussi la foi chrétienne qui s’en dégage généralement, au moins dans l’échantillon présenté qui ne semble pas coïncider exactement avec l’image classique du « parti des fusillés ».
Le silence s’est établi dans un monde du renseignement réputé « peu loquace ». « Ma mort n’aura pas été inutile, elle aura servi la France » écrit Pierrette Louin aux siens, tandis que le notaire Bouvet leur « demande pardon ». Espérons – on nous l’assure – que tous ces sacrifices ont été efficaces et ont accéléré le dénouement. ♦