À propos de l'article du général Laffargue de mars 1950.
Correspondance - La revanche du barème en 1940
J’ai lu avec un très grand intérêt l’article du général A. Laffargue : « La revanche du Barème en 1940 », paru dans le numéro de mars 1950 de la Revue de Défense nationale.
C’est à ma connaissance le premier article objectif écrit sur les causes de notre défaite en 1940. Dans un style sobre et précis, avec une pondération remarquable, l’auteur expose à la perfection les conclusions auxquelles doivent logiquement arriver tous ceux qui ont étudié avec soin l’histoire de la guerre 1914-1918 et de leur mieux, car l’histoire est loin d’en être faite, celle de la guerre 1939-1945. S’il ne suffit pas en effet de bâtir des études de stratégie et de tactique sur les enseignements de l’histoire militaire, s’il convient de leur ajouter beaucoup d’imagination… et de réflexion pour les adapter au progrès continuel de la technique, on ne peut nier qu’il soit désastreux de les méconnaître ; ou lorsqu’après de longues expériences ils se traduisent en barèmes, d’oublier comme le dit si justement le général Laffargue, « ce respect non point superstitieux mais convaincu à l’égard de ce barème qui protégeait les vivants grâce au sacrifice des morts et assurait la victoire grâce à l’apprentissage sévère des échecs ».
Plus loin encore, le général Laffargue donne un avertissement, « c’est dire par conséquent qu’au lieu de pouvoir prendre des libertés avec le barème des densités il fallait se montrer particulièrement circonspect quant à son observation politique » : avertissement qui n’a pas été compris en 1940 mais dont il y aurait lieu de tenir le plus grand compte dans l’avenir si on ne veut s’exposer aux mêmes conséquences.
Il y a bien d’autres sujets à réflexion dans cet article dont la concision paraît avoir été volontaire et la porte reste grandement ouverte aux méditations de tous ceux, non seulement militaires mais encore politiques, techniciens… qui s’intéressent au problème crucial de la défense du pays.
Certes, il est probable que certains, qui ne pensent qu’aux campagnes de la fin de la guerre, d’autant plus séduisantes qu’elles étaient offensives et de pur mouvement, seront tentés de s’écrier : « Voilà bien encore renaître à mots couverts cette conception archaïque des fronts contigus ; l’esprit de la ligne Maginot. »
Faire une pareille critique serait totalement méconnaître l’esprit de l’article. En outre, vaudrait-il mieux que les détracteurs réfléchissent d’abord aux conditions particulières qui ont régi la fin de la dernière guerre ; dans un éventuel conflit et l’adversaire une fois défini, est-on certain de retrouver des supériorités identiques à celles dont nous avons alors bénéficié ? Y a-t-il la moindre chance de forcer la victoire en prenant d’emblée l’offensive ? Dans l’affirmative, les critiques auraient certainement raison. Si non, gare au barème qui prendra sa revanche et hélas ! en un tour de main.
Le problème de la Défense nationale n’est pas le jeu d’enfants que certains imaginent ; surtout, il ne doit pas être un terrain d’expériences inconsidérées. Malheureusement, c’est un problème ingrat qui n’intéresse la communauté que lorsqu’il est trop tard, lorsqu’on sent compromise la vie même de la nation ; à ce moment seulement, tous en comprennent l’importance pour l’oublier aussi vite, le danger écarté. Mais l’histoire nous l’apprend : c’est là une fatalité humaine et on peut compter sur les doigts ceux qui ont su ou ont pu s’en affranchir.
Quoi qu’il en soit, nombreux sans doute seront ceux qui attendront avec impatience la nouvelle étude que nous promet le général Laffargue à la fin de son article.