L'Europe chrétienne ?
L'Europe chrétienne ?
Cet ouvrage traduit de l’italien tire son originalité (et son intérêt) du fait a priori paradoxal qu’un intellectuel juif cosmopolite, convaincu et pratiquant, y plaide avec vigueur pour la proclamation de l’héritage chrétien dans les textes européens fondamentaux. Contre ce que le rédacteur d’une préface musclée, Rémi Brague, nomme le « lobby laïcard franco-belge », contre la « christophobie des élites » et cette honte du passé que véhicule la mode de la repentance ; en harmonie au contraire tant avec les convictions religieuses des pères fondateurs qu’avec les constitutions de nombreux pays de l’Union (de la Grèce à l’Irlande), Joseph Weiler invite les chrétiens à sortir de l’espèce de ghetto où ils ont tendance à s’enfermer eux-mêmes. On croirait entendre Jean-Paul II dans son exhortation fameuse : « N’ayez pas peur ! ».
Au fil d’un raisonnement en trois parties appuyé sur les encycliques, pas toujours absolument cartésien, parfois un peu répétitif et laborieux, au moins en apparence, se détachent plusieurs éléments majeurs exprimés avec force.
D’abord, un besoin de spiritualité que peut satisfaire la référence religieuse, au contact d’une société de consommateurs béats, ne connaissant par ailleurs que la logique du marché et les réglementations de Bruxelles, et pour laquelle la pratique rituelle se réduit à un simple hobby pour temps libre dominical. La démocratie, les droits de l’homme ne sont que des moyens et non de réels objectifs susceptibles de procurer une « vision du monde cohérente » et une « réponse à l’angoisse ». C’est ce qu’avaient compris en leur temps, fût-ce de façon déviante, les idéologies fascistes.
Ensuite, un facteur d’unité transcendant la diversité des langues et des mœurs. Les traces de l’influence du christianisme sont partout présentes sur nos territoires, « tout bonnement évidentes », non seulement dans les églises et les cimetières, mais aussi dans l’architecture, la musique, la littérature… d’une véritable « maison commune ».
Enfin, une leçon de tolérance. Il n’est bien entendu pas question d’invoquer quelque « religion officielle » que d’ailleurs « l’Église elle-même ne souhaite pas », mais au contraire de rechercher une synthèse entre les Lumières et l’apport chrétien que l’on s’est acharné à opposer artificiellement. Il importe d’abattre le « vieux préjugé selon lequel la religion et la raison sont antithétiques ». Et, sans être tout à fait convaincant sur ce point, notre auteur, au nom du « principe de pluralisme », n’écarte pas la candidature turque.
Weiler aime, paraît-il, se définir comme un « juif errant ». Apparemment, il sait fort bien où il va ! ♦