Vacances en Indo
Vacances en Indo
On connaissait le sous-préfet aux champs, voici le conseiller d’État dans la rizière. Il ne fait pas de vers, mais n’abuse pas non plus des « considérant… » chers à nos magistrats. Le narrateur, bien loin de toute Haute Juridiction, se contente de revenir sur un épisode de son passé sous forme d’entretiens avec deux de ses petits-enfants, jumeaux garçon et fille, ados délurés, légèrement pédants et discutailleurs, taquins auprès d’un aïeul qu’ils adorent et qui le leur rend bien.
À sa sortie de ce qui fut l’École coloniale, notre Bellescize part effectuer un stage d’application en Indochine. Il va passer à ce titre le premier semestre de 1951 au Tonkin et c’est cette expérience qui fournit la matière des trente-trois courts chapitres. Dans des conditions qui peuvent paraître un peu obscures au lecteur, voici ce stagiaire, nommé à Nam Dinh, intégré volontairement comme officier dans une unité militaire vietnamienne de la zone, ce qui procure en tout cas au récit un ton et une authenticité qui ne peuvent qu’être reconnus par tout « ancien d’Indo ».
Chacun, parmi cette population en voie de disparition, se souviendra de l’ambiance du « Pasteur » et de l’enchantement ressenti devant les « pitons emplumés » de la baie d’Along (sans H initial à l’époque). Il retrouvera les haies de bambou, le cri des crapauds-buffles, les pyjamas noirs du commando Vandenberghe… et ce fameux terme de « maoulen ! » qui constitua l’essentiel de l’acquis linguistique ramené dans les cantines du corps expéditionnaire. Il reverra ces « petits annamites gringalets » à l’allure d’adolescents à propos desquels nous avons si longtemps commis de grossières erreurs de jugement quant à leurs qualités guerrières ; ces PIM au sourire figé… et aussi l’envol gracieux des « jeunes filles filant sur leurs vélos dans des robes colorées ». Il se délectera, cet ancien, de la description du « poste », tandis que ceux de la « Leclerc » seront sensibles à l’évocation émouvante de Michel de Gastines.
L’ouvrage complète ainsi utilement les romans peuplés de paras héroïques et apporte un témoignage de valeur sur la vie quotidienne pieusement illustrée par l’album Guerre morte. Pour autant, l’auteur ne se situe pas socialement à la base, mais à un niveau aristocratique non dissimulé, une « certaine élite » qui peuple en annexe les colonnes de l’« index des noms propres ». On navigue parmi d’innombrables cousins et alliés formés à Ginette, aguerris et disciplinés chez les scouts, par ailleurs patriotes et largement généreux à la mesure du sang versé.
Le style est pétillant et accrocheur, le vocabulaire parfois argotique. On ne s’en formalisera pas, sachant depuis La Grande Vadrouille qu’on peut traiter par le rire des sujets sérieux, voire tragiques. Voici par exemple la relation désopilante d’une opération nocturne, même si elle se termine pour le héros par « une bastos dans le cigare » suivie d’une évacuation sur Lanessan.
Dans les derniers chapitres, le domaine s’élargit en réflexion sur les thèmes actuels d’Europe, de mondialisation, d’armée de métier… ce qui vaut quelques propos sarcastiques sur les projections menées sous une multitude de drapeaux, tandis que « notre territoire passe à la trappe ». En conclusion, les vieux trouveront ici un texte forcément incomplet dans le temps et dans l’espace, mais reflétant bien l’ambiance d’un difficile combat mené loin d’une métropole partagée entre l’oubli et parfois l’hostilité. En attendant le « permis d’inhumer de l’Indochine française », les honneurs rendus aux morts « se limitent à la seule indifférence du pays », tandis que « la France profonde verse une larme de crocodile ». Quant aux jeunes, ils pourront ainsi compléter sous une forme originale l’apport de Psichari, dont nous ne doutons pas un instant qu’ils sont des lecteurs assidus. ♦