La réintégration de la France dans l’Otan est un geste potentiellement nocif, qui a comme cause une soumission par la droite atlantiste aux ambitions de Washington. Dans un monde plus intégré que jamais, la France devrait reprendre la position indépendante et multipolaire de Charles de Gaulle plutôt que de céder aux songes Obamaniens de Sarkozy. Les Français pourraient ainsi aider l’Amérique à retrouver la raison en dehors de la structure démodée de l’Otan.
Nécessaire, l'Otan ?
Is NATO necessary?
France’s reintegration into NATO is a potentially harmful move resulting from the submission of France’s Atlanticist right to Washington’s ambitions. In a world more than ever integrated, France should return to Charles de Gaulle’s independent, multipolar position rather than bow to Sarkozy’s dreams of alignment with Obama. By doing that the French could help lead America back to reason outside the outmoded NATO structure.
Permettez-moi de considérer le débat sur la réintégration de la France dans l’Otan du point de vue américain. Car ce sujet, qui fâche les Français, devrait également soulever la polémique en Amérique, non seulement chez les progressistes qui souhaiteraient un recul de l’empire militaire des États-Unis, mais aussi parmi les partisans d’une realpolitik en quête d’un équilibre de pouvoir afin de créer un monde plus stable.
Bien sûr, la pleine participation de la France à une alliance militaire inventée par Washington pour repousser les ambitions soviétiques reste particulièrement sensible pour un pays depuis longtemps dépouillé de son propre empire, voire de sa grandeur et son influence sur la scène internationale. Dissimulée derrière les critiques politiques (aussi bien de gauche que de droite) de ce projet cher à Nicolas Sarkozy, il y a simplement la fierté française.
Le député Nicolas Dupont-Aignan a bien résumé dans le journal Le Monde les enjeux émotionnels de la dispute. Après avoir lancé des arguments logiques contre le retour de Paris dans le commandement intégré de l’Otan, il a jeté le gant : « Le débat n’est pas technique, mais idéologique. En réalité, Nicolas Sarkozy fait partie de cette droite férocement atlantiste, en complet décalage avec le sentiment profond du peuple français auquel Charles de Gaulle a rendu sa dignité. “Mon pays n’est pas la France, c’est la France libre”, disait Romain Gary. Pour moi également, Américain qui ait une part de mes racines en France, c’est clair : une France soumise n’est pas et ne sera jamais la France ».
On pourrait toutefois se demander où était « la France libre » sous Jacques Chirac lorsqu’elle avait consenti à alimenter le bombardement « préemptif » (en violation de la loi internationale) de la Serbie sous le commandement de l’Otan en 1999 ; ou encore, avec l’Armée de terre, à participer à la campagne tardive et inutile contre les taliban à la suite de l’invasion américaine en 2002. Il est parfois difficile de prendre au sérieux les prétentions françaises d’indépendance.
Cependant, j’hésite à minimiser cette controverse, peut-être symbolique, qui aboutira les 3 et 4 avril quand Nicolas Sarkozy se rendra au Sommet de l’Otan à Strasbourg et à Kehl pour la cérémonie marquant le 60e anniversaire de l’Alliance. Les symboles sont tout de même importants. J’ai devant moi le numéro hors série de Paris-Match publié juste après la mort de Charles de Gaulle en 1970 dont la couverture présente le visage sanctifié du grand homme, qui surveille l’horizon avec bienveillance et un soupçon de tristesse. Curieusement, ce récit hagiographique de sa vie n’a pas mentionné la lettre bouleversante du 7 mars 1966 envoyée par le président de la République au président Lyndon Johnson pour annoncer que la France proposait, sans quitter l’Alliance, « de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté » et « de cesser sa participation aux commandements intégrés et de ne plus mettre de forces à la disposition de l’Otan ».
Voilà qu’en pleine guerre froide, au milieu de l’escalade militaire catastrophique au Viêt-nam (qu’il dénonçait par ailleurs au même moment à Phnom Penh), un président français osait affronter un président américain, qui à l’époque débordait d’orgueil et d’arrogance autodestructifs. Ayant renvoyé l’état-major de l’Otan de son quartier général à Fontainebleau, le général de Gaulle a aussi rejeté l’idée d’une unité idéologique et stratégique dans la lutte entre l’Occident et le monde communiste. Pour un Français, ce coup de tonnerre pouvait contribuer à rétablir l’amour-propre d’un pays toujours rabaissé par la défaite de 1940 et la honte de Vichy. Pour un Américain, ce « non » jeté à la figure de Johnson a révélé un chef d’État sain d’esprit, pas du tout staliniste, qui n’acceptait point les règles bilatérales instaurées par Washington et Moscou dans leur folie à deux.
Mon Paris-Match hors série contient notamment une photographie du président de Gaulle, en 1966, assistant à l’explosion d’une bombe atomique en Polynésie. Bons chauvins, les rédacteurs de Match se vantaient de « la force de frappe [qui] sera notre grandeur pendant les années qui viennent ».
Mais la force de frappe morale compte davantage que la force militaire dans la grandeur d’une nation. Là, les Français, avec leurs valeurs, pourraient aider l’Amérique à retrouver la raison, en dehors de la structure démodée de l’Otan. Dominique de Villepin a fait un bon début en 2003 avec son discours à l’ONU contre l’invasion de l’Irak ; aujourd’hui, en s’opposant à l’ambition de Nicolas Sarkozy de revenir pleinement dans l’Otan, il continue sagement en présentant les dangers d’un tel rapprochement : « Il est extrêmement difficile de résister à la pression exercée par les Américains quand ils considèrent qu’il y va de leur propre sécurité ».
Bien entendu. Il est aussi difficile de résister à la folie américaine en Irak et en Afghanistan, et voilà Nicolas Sarkozy coincé entre son désir d’être aux côtés de Barack Obama et la résistance du peuple français à l’élargissement du rôle de la France dans la lutte antiterroriste « à l’américaine ».
En fin de compte, pourquoi maintenir un système de défense occidental dans un monde censé être plus que jamais intégré ? Pourquoi affaiblir la force diplomatique de l’ONU avec les frappes meurtrières de l’Otan contre des civils à Kandahar ? À quoi bon provoquer la Russie non communiste (mais toujours dangereuse), qui a réagi violemment à la vaine ambition de la Géorgie, encouragée par l’Administration Bush, à s’engager dans l’Otan ? Laquelle n’est pas venue à la rescousse de Gori occupée par l’armée russe, pas plus qu’elle n’a empêché les navires de guerre russes de faire des manœuvres avec la marine d’Hugo Châvez en pleine mer des Caraïbes. En revanche, c’est peut-être la vision indépendante et multipolaire de Charles de Gaulle qui pourrait servir de boussole pour une Amérique qui a de nouveau perdu le nord (1).
(1) NDLR. Cet article est paru dans Le Devoir de Montréal du 2 mars 2009.