Brésil. Le réveil du géant latino-américain
Brésil. Le réveil du géant latino-américain
Il est de bon ton aujourd’hui d’insister sur l’émergence de la Chine et de l’Inde et sur le retour de la Russie dans le concert des puissances mondiales. Ce constat économique et géopolitique est légitime, mais souvent partiel. Des quatre pays – Brésil, Russie, Inde, Chine – qu’on regroupe sous l’acronyme (Bric) et dont l’essor économique et géopolitique inquiète l’Occident, le plus inattendu et le plus prometteur est sans doute celui du Brésil.
C’est tout l’intérêt du livre d’Annie Gasnier que de proposer une analyse approfondie de cette ambition brésilienne. En poste au Brésil depuis 1993, collaboratrice du Monde et de Radio France Internationale (RFI), Annie Gasnier réunit ici des reportages qui nous éclairent sur la montée en puissance économique et diplomatique du Brésil, entamée sous la présidence d’Henrique Cardoso (1995-2002), puis confirmée sous celle de Luiz Inacio Lula da Silva, dit Lula, arrivé au palais Panalto à Brasilia, en 2002, avec 61 % des suffrages.
Fondateur du Parti des travailleurs (PT) en 1962, l’ancien syndicaliste métallurgique s’est illustré par un remarquable pragmatisme qui a permis de consolider l’économie et d’amorcer une diplomatie brésilienne ambitieuse. Le gouvernement de Lula a su tirer avantage des atouts naturels du Brésil pour insérer son pays, plus industrialisé que la Chine et l’Inde, dans la mondialisation libérale. Le taux de chômage a baissé à 10,7 % en juillet 2006. Contempteur de l’Europe subventionnée, le Brésil est le premier exportateur mondial de viande bovine, avec 204 millions de bœufs. Il est au second rang, derrière les États-Unis, pour l’éthanol, un biocarburant élaboré à partir de l’alcool de canne à sucre.
Néanmoins, les défis ne manquent pas. La moitié des Brésiliens appartiennent aux classes populaires, la violence perdure, les inégalités sociales et la discrimination raciale persistent, les infrastructures (ports, aéroports) freinent la croissance économique et la corruption touche des élus du PT, proches de Lula. Les vingt-sept gouverneurs brésiliens ne parviennent toujours pas à assurer la sécurité de leurs citoyens. Le racisme qui irrigue encore la société brésilienne est sans doute l’un des défis les plus pressants des gouvernants : les Noirs et les métis composent 45 % de la population brésilienne, mais seulement 10 % d’entre eux accèdent à l’université publique, fréquentée surtout par les classes privilégiées. Pourtant, sur ce terrain miné, les initiatives ont fleuri pour favoriser l’instruction des Noirs et des métis, comme le campus universitaire Zumbi dos Palmares, fondé grâce à des fonds publics et privés.
Pays du syncrétisme des croyances, le Brésil demeure la première nation catholique au monde. 139 millions d’habitants (73 % des Brésiliens) se disent catholiques, et seulement 5 % athées. Mais le catholicisme est désormais concurrencé par les évangélistes. Selon Annie Gasnier, 43,6 millions des Brésiliens ont rejoint les églises pentecôtistes. L’Église universelle du royaume de Dieu, que les Brésiliens appellent « la pieuvre », et à laquelle l’auteur ne consacre que quelques lignes, a pignon sur rue dans la vie politique brésilienne ; elle est une multinationale qui dispose de plusieurs chaînes de télévision et de relais dans la vie sociale, culturelle, économique et politique. Le Parti républicain brésilien est la formation politique par laquelle les évangélistes investissent la politique. La vitalité du syncrétisme religieux et l’imbrication de l’activité religieuse dans l’action politique sont deux éléments souvent mal compris des Français lorsqu’ils s’intéressent au Brésil avec l’intention d’aller au-delà de la samba et du football.
Ainsi, les regards en Occident se braquent sur la puissante Chine, l’ambitieuse Inde et le retour de la Russie revancharde : ils en oublient le Brésil, partenaire géopolitique fiable des Occidentaux, attaché à la démocratie et à son rôle de stabilisateur en Amérique latine, comme l’a montré sa politique à l’égard du Venezuela, et concurrent commercial sérieux de l’Union européenne et des États-Unis. À l’heure de la crise mondiale, ces quatre économies émergentes sont également frappées durement, et le Brésil n’échappe pas à la tourmente : la production d’éthanol, axe majeur depuis trente ans de sa politique énergétique, et le projet d’exploitation de gisements pétroliers offshore patinent.
La manière dont le Brésil se sortira de cette impasse en dira long sur son potentiel économique et diplomatique réel. C’est tout le mérite du livre d’Annie Gasnier de fournir une grille de lecture pour mieux saisir la réalité complexe et passionnante du Brésil contemporain. ♦