Pour ne pas préparer la dernière guerre
C’est, en France, un lieu commun de répéter que notre armée est toujours en retard d’une guerre et que chefs et états-majors ne savent jamais que préparer la dernière. Cette accusation n’est pas le privilège de notre pays ; on en a chargé l’armée prussienne d’Iéna, l’armée autrichienne de Sadowa, l’armée russe de 1941. C’est le slogan classique sur l’armée qui éprouve des échecs initiaux. On peut, toutefois, remarquer que, hormis le cas de folie collective, comme celui de la Prusse de 1806, l’armée ainsi accusée a toujours été celle du pays attaqué. Son manque de préparation, prise essentielle à l’agresseur, est, en quelque sorte, un brevet d’innocence pour le pays surpris. Mais cette assez vaine satisfaction morale coûte toujours trop cher. Avant la guerre de 1939, des écrivains militaires avaient attiré l’attention sur la forme particulièrement redoutable d’agression que constituait la « guerre à échéance ». On n’avait trouvé comme palliatif à cette menace que des procédés dits classiques : fortification des frontières, constitution de stocks de sécurité, maintien de troupes importantes de couverture, mobilisation générale et concentrations accélérées. Toutes mesures possibles à cette époque dans un pays riche n’ayant à se prémunir que contre une attaque de surface, à base de surprise stratégique ou tactique ; elles devaient se montrer manifestement insuffisantes devant la menace en 1940, et le seraient encore plus dans l’avenir, devant la menace d’une agression dans les trois dimensions, accompagnée de surprise stratégique, tactique et technique.
D’excellents esprits vont répétant : « Il faut faire œuvre d’imagination ! » Et chacun espère que le voisin inventant le rayon de la mort ou la super-bombe H, apportera une solution à un problème qui le dépasse.
Il est évident que nous sommes à une époque où une invention nouvelle peut, à chaque instant, bouleverser toutes les données militaires, mais cette découverte reste problématique et ni un gouvernement, ni une armée n’ont le droit de compter uniquement sur elle pour assurer la sécurité du pays. L’expérience du passé et la loi de progressivité du progrès scientifique sont là pour démontrer qu’il n’y a jamais eu révolution en ce domaine mais seulement évolution. Les armes secrètes de Hitler ne lui ont pas donné la victoire, et malgré l’exemple, très particulier, de la bombe atomique, on reste partout sceptique sur l’apparition d’une « machine à finir la guerre ». Toujours, et maintenant encore, il est plus prudent de préparer l’armée de la guerre de demain par un travail patient et méthodique qui n’exige ni supergénie précurseur, ni prophète doté de double vue.
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