Après 231 ans d’un mariage chaotique que l’on s’obstine à croire d’amour alors qu’il ne fut dès l’origine que de raison, la France et les États-Unis n’en finissent pas d’afficher leurs divergences de valeurs que d’aucuns nomment convergence d’intérêts. Les questions d’Orient et du terrorisme, que le conflit afghan enrôle à tort, mettent de nouveau cette béance en lumière, car la manière dont chacun les aborde n’est que la traduction de deux visions du monde et de l’histoire que l’on découvre une nouvelle fois peu conciliables.
Libre opinion - Les mésalliés
The odd couple
After 231 years of a chaotic marriage—which the French persist in believing is founded on love whereas it was always based only on reason—France and the United States continue to proclaim their divergent values, which some call a convergence of interests. Issues concerning the Middle East and terrorism, wrongly used as a justification for the Afghan conflict, once again highlight this gap. The way in which they address these questions reflects their different and incompatible views of the world and history.
Les Français aiment citer cette phrase de Charles de Gaulle tirée de ses Mémoires de guerre : « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples ». Neuf siècles après la prise de Jérusalem par les chevaliers francs, les héritiers de ces derniers ont compris une chose : la cohabitation avec le monde musulman, que la géographie, mais surtout le partage d’un socle commun de civilisation rend indiscutable, ne sera jamais simple. L’erreur des États-Unis est de le nier. Ce réductionnisme ontologiquement américain explique non seulement les échecs passés et présents, mais aussi ceux vers lesquels la France se précipite par son alignement irréfléchi et à contretemps. La grande dispute franco-américaine est toujours devant nous.
Dans le bourbier afghan
« La guerre introuvable » : c’est ainsi que nous avions titré il y a plus de sept ans un précédent article alors que la guerre d’Afghanistan ne faisait que commencer (1). L’échec était déjà inscrit dans les délires de puissance que l’on pouvait lire dans la presse, répétés en boucle dans les médias. En étalant toute leur panoplie technologique, il était clair que les États-Unis cherchaient, plus qu’à se venger des attentats de 2001, à valider leur American Way of War et accessoirement à sauver l’Otan. Et à effacer les humiliations passées : No more Vietnams, tel fut le titre d’un long plaidoyer pro domo écrit par Richard Nixon il y a un quart de siècle. Il pouvait se résumer à sa dernière phrase : « Cela peut vouloir dire que nous n’essaierons plus. Cela doit signifier que nous n’échouerons plus » (2).
Mais on ne fait pas la guerre tout seul, et les reviews et autres Livres blancs relèvent plus de l’onanisme militaire que d’une pensée stratégique. Ce ne sont pas les taliban qui sont en passe de nous vaincre mais notre vanité ; celle d’avoir décrété que nous étions entrés dans un nouveau monde avec de nouveaux paradigmes (le joli mot, dont George W. Bush lui-même usa et abusa) et que les formes logiques seraient désormais caduques. Or, une occupation militaire étrangère reste une occupation, par elle-même insupportable à qui que ce soit. C’est ce que savent les Français pour des raisons historiques, c’est ce que refusent de voir les Américains. Leur capacité à répéter les erreurs des autres n’a d’égale que celle à dupliquer leurs propres errements, de Saigon à Kaboul. Que peuvent-ils comprendre de l’Afghanistan ? Leurs aînés du Vietnam avaient un avantage, ils brûlaient leur solde dans les gogo-bars de Cochinchine, ânonnaient un peu de français, mangeaient et aimaient vietnamien. Les soldats de 2009 appellent à la rescousse des ethnologues voire des anthropologues, pour tenter de comprendre ce que les populations afghanes ont dans la tête. C’est révélateur d’un racisme foncier, alors que les taliban ne raisonnent pas autrement face à la présence de soldats étrangers sur le pas de leur porte que ne l’ont fait les colons américains face aux Habits rouges du roi d’Angleterre. Aucun particularisme culturel là-dedans, encore moins religieux. Et rien ne pourra aller contre cette évidence.
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