Le testament syriaque
L’éditeur nous annonce un thriller. Le livre respecte en effet les règles du genre : épaisseur (plus de 500 pages), scénario à rebondissements, personnages nombreux et pittoresques, assassinats et tortures raffinées, érotisme de commande, suspense maintenu jusqu’à la fin. S’il n’était que cela, nous n’en parlerions pas ici. Mais il y a autre chose : l’islam est au cœur du récit et l’auteur, arabe chrétien expert en sciences religieuses, nous offre, au fil de son roman, un petit traité d’islamologie.
Quel est l’objet de l’intrigue ? un testament qu’aurait laissé le prophète Muhammad en ses derniers instants et qu’un journaliste innocent retrouve par hasard dans une bibliothèque poussiéreuse de Tombouctou. Si la pièce est authentique, sa valeur marchande est inestimable. Si, comme on l’apprend, le Prophète, in extremis, y confesse ses œuvres violentes et, en quelque sorte, se fait chrétien, c’est un brûlot dont la divulgation entraînerait la fin de l’islam, au moins un aggiornamento qui en changerait totalement la nature. Autour de ce trésor dangereux, pour sa divulgation ou sa destruction, luttent et s’entre-tuent salafistes sans pitié, services secrets pakistanais et américains, experts passionnés (le texte, écrit en syriaque, est difficile à traduire), le tout sous l’œil du commissaire Sarfaty, juif arabisant, islamologue et philosophe.
L’essentiel se déroule dans les quartiers musulmans de Paris, soit le XIe arrondissement, et dans un milieu algérien arrangé pour les besoins de la cause, où les « évolués » côtoient les islamistes et où les femmes, évoluées ou non, ont la cuisse légère. Vous en apprendrez beaucoup sur l’islam si vous n’en savez rien, et un peu encore si vous en savez beaucoup : Coran et sunna, Juifs de Médine, batailles de Badr et d’Ohod, chiisme et soufisme, les deux jihads et le vrai des deux, la sourate des mourants (très sollicitée ici), la rigueur des salafistes et même le rituel de la prière musulmane, pratiquée par le commissaire Sarfaty en personne dans la mosquée de la rue Jean-Pierre Timbaud. Le livre se termine par une excellente fiction stratégique : la rumeur s’étant répandue dans Paris, nos musulmans s’enflamment pour la défense de leur religion menacée, à l’instigation du Tabligh, mouvement prosélyte discret mais bien connu. Une situation insurrectionnelle s’instaure, dont nos banlieues chaudes nous ont déjà donné l’avant-goût.
C’est à la 397e page que le testament redoutable nous est dévoilé. Il est daté du 8 juin 636. Le Prophète étant mort en juin 632, ce petit retard permet d’inclure dans son repentir la conquête de la Syrie et celle de l’Irak, lesquelles furent très sanglantes (473 000 morts selon le décompte de l’auteur, à comparer aux 1 189 dont le Prophète serait directement « coupable »). Ce sont tous ces morts qui viennent hanter les veilles et les rêves de Mahomet fuyant Médine après sa mort officielle. Dans son désarroi, le malheureux en vient à renier ses combats jihadiques.
Le commissaire philosophe entre en scène une dernière fois pour nous expliquer les origines chrétiennes de l’islam, thèse audacieuse sinon nouvelle que l’auteur reprend en une postface érudite : l’islam en son premier siècle n’était qu’une « doctrine chrétienne antitrinitaire adoptée par un Empire arabe ». Selon lui, cette hypothèse n’est pas incompatible avec la violence pratiquée par ledit empire, le Christ ayant lui-même prévenu qu’il était venu apporter le glaive, air connu sans cesse repris et qui sonne bien faux. Reste l’incompatible, qui n’est pas mince : la résurrection du Christ, c’est-à-dire sa divinité, mais aussi, mais surtout, le sacrifice rédempteur. De ce sacrifice, soufis et chiites ne sont pas loin de reconnaître l’immense vertu ? preuve a contrario, ces braves gens sont rejetés par l’orthodoxie sunnite. ♦