La guerre d'Algérie du général Salan
Voici une occasion, pour un lecteur non averti ou incomplètement informé (s’il s’en trouvait) de lui rappeler que Raoul Salan ne fut pas uniquement un chef de bande terroriste recherché par les polices et condamné à mort par contumace, mais qu’il lui arriva d’être saint-cyrien, de commander un régiment de tirailleurs puis une division au cours de la Seconde Guerre mondiale, avant de diriger les forces françaises en Indochine et en Algérie et d’être grand-croix de la Légion d’honneur. Et il est bien vrai qu’il fut investi des plus hautes responsabilités outre-mer aux moments les plus critiques, charge que peut-être peu de ses confrères revendiquaient à l’époque.
Très documenté, enrichi abondamment de notes et d’annexes, l’ouvrage est « publié par l’association des amis de Raoul Salan ». Il ne s’agit pourtant pas d’un plaidoyer, encore moins d’un panégyrique et le ton, celui de l’historien, n’a rien de polémique. Si on cite forcément la fidélité aux enseignements de Gallieni et de Lyautey ainsi que l’expérience acquise sur le théâtre d’Extrême-Orient, seule est traitée ici la période 1956-1958 sans débordement antérieur ni postérieur. Tout au plus est citée in fine l’amorce d’une « rupture » entre un Salan « désarçonné » et le nouveau chef de l’État.
Salan est un chef compétent et volontaire, à la hauteur de la détermination du « ministre-résidant », Robert Lacoste, avec qui il travaille en toute loyauté. À partir de la situation plutôt défavorable à laquelle il se heurte à son arrivée, il va s’efforcer en particulier de « sortir les unités de l’attitude défensive imposée par le quadrillage » et de « donner un dynamisme nouveau à la guerre » en restaurant la « mobilité tactique » et en développant les réserves générales. Par ailleurs, son effort va porter, au prix d’« énormes besoins matériels » et d’incidents de frontière permanents, sur les barrages, notamment face à une Tunisie en état de « quasi-cobelligérance » et qui offre au FLN (Front de libération nationale) à la fois « l’arsenal et le repos ». S’ajoute le « front saharien » qui tire sa sensibilité et sa vulnérabilité du « début de l’exploitation des hydrocarbures ». Le général insiste aussi sur le « développement des harkas ». Dans son commandement, il sait se montrer ferme, à la limite brutal et rappeler à l’occasion qu’il ne convient pas de « confondre hiver et hivernage » !
Pour autant, les difficultés rencontrées, les retards et les lenteurs ne sont pas dissimulés. L’auteur relève le problème lancinant des effectifs face à des missions multiples (« l’armée était partout ! ») et à des gouvernements peu soucieux de trop prolonger la durée de service du contingent. Beaucoup de problèmes sont ainsi franco-français : le commandant en chef, « amené à tenir un rôle politique », rencontre les réticences, voire l’hostilité, des activistes européens à propos de la loi-cadre du 31 janvier 1958. Les relations avec l’administration civile ne sont pas toujours faciles. Il arrive que celle-ci semble « multiplier les obstacles » ; les préfets « réussissent à freiner » ; la magistrature renâcle ; un rapport Trinquier d’octobre 1957 décrit des rapports peu constructifs avec la police, tandis que les sociétés pétrolières refusent les formules d’autodéfense.
En charge d’une mission qui « n’avait cessé de s’alourdir », tiraillé entre des exigences parfois peu compatibles, fragilisé par des campagnes médiatiques d’origine métropolitaine, l’homme apparaît lucide, modérément optimiste, plongé au premier rang dans un drame national qui fut aussi celui d’une armée « par ailleurs courageuse et tenace ». ♦