Le numéro de juillet 2009 de la revue Défense nationale et sécurité collective, qui nous a fait l’honneur de publier le court article que nous avions consacré à la question lancinante du renouveau de la pensée stratégique en France, proposait quelques pages plus loin un intéressant article du capitaine de corvette Luc Savoyant, intitulé avec intrépidité : « Renoncer à la dissuasion nucléaire ? ». La question vaut d’être considérée et mérite d’être débattue.
Renoncer à la dissuasion nucléaire ? Pas si vite !…
La question n’est pas nouvelle, les partisans et adversaires de la « force de frappe » s’étant dès l’origine opposés sur ses mérites réels ou ses risques supposés. Elle a été passionnément débattue, non seulement au sein de l’institution de défense, mais très largement au-delà, dans la société civile, de nombreux groupes d’opinion, mouvements citoyens, ONG, confessions religieuses… s’emparant tour à tour de la question. Elle a ressurgi récemment sur la place publique avec l’intervention remarquée du président Barack Obama à Prague le 5 avril 2009, laquelle avait été opportunément précédée par la prise de position de MM. Kissinger, Nunn, Shultz et Perry, tous anciens très hauts responsables à des titres divers de ces questions sous différentes administrations américaines. Cette montée en puissance de « désarmeurs » américains inattendus a pu étonner. Certains ont fait malicieusement remarquer que ces responsables eussent été plus crédibles s’ils avaient tenu les mêmes positions quand ils étaient aux affaires. D’autres ont observé avec une certaine défiance qu’un monde sans armes nucléaires serait un monde où la puissance américaine conventionnelle, déjà largement dominante, deviendrait écrasante, une fois le contrepoids de l’effet égalisateur de l’arme nucléaire disparu.
Dans son article, Luc Savoyant reprend quelques-uns des arguments qui lui paraissent militer en faveur d’une telle décision : ce serait l’« échec patent de la non-prolifération », les conséquences de la rupture unilatérale du traité ABM (Antiballistic Missile) par les États-Unis en 2001, le constat de l’inadaptation de la dissuasion face au terrorisme et aux menaces non étatiques, et « enfin et surtout », l’impact sur les « pays du seuil nucléaire » qui justifieraient qu’on revisite la question.
Son premier argument nous paraît le plus discutable. On ne reprendra pas ici l’abondante littérature experte sur la question des mérites réels ou supposés du Traité de Non-Prolifération (TNP) : faut-il se désoler que, malgré ce traité, on ait assisté à une prolifération significative, avec l’apparition de plusieurs proliférants avérés ou putatifs (Israël, Inde, Pakistan, Corée du Nord…) dans des régions du monde où règnent des tensions importantes ? Ou faut-il au contraire se réjouir que, grâce notamment à ce traité, le nombre des proliférants soit resté somme toute raisonnable (moins d’une demi-douzaine), et en tout cas bien en deçà des projections alarmantes que l’on faisait sur ce sujet dans les années 60 ; et que, bien plus, plusieurs cas de prolifération avérés aient pu être « désamorcés », comme l’Afrique du Sud ou la Libye ?
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