Trajectoires stratégiques asiatiques vues de Corée du Sud
L’étude du capitaine Mun met l’accent sur les recompositions stratégiques régionales en Asie du Nord-Est à partir de l’analyse du poids stratégique de la péninsule Coréenne depuis la guerre froide jusqu’à aujourd’hui. La progression des rapports sino-américains pendant cette période est identifiée comme le facteur le plus influent sur les trajectoires stratégiques (sécuritaires et économiques) de la région. Au regard de la menace nucléaire et balistique que représente Pyongyang, la Corée du Sud est aujourd’hui face à différentes options stratégiques. La plus vraisemblable serait celle d’une valorisation stratégique de la position de Séoul dans la péninsule, ce qui assurerait la stabilité et la sécurité de la zone grâce à un meilleur encadrement de la Corée du Nord. Une telle évolution serait le résultat à la fois de l’intensification de la coopération économique entre Pékin et Séoul, et d’un apaisement dans la « lutte d’influence » sino-américaine dans la région.
Comme l’écrit lui-même l’auteur en conclusion, son étude n’apporte pas « d’orientation définitive à la stratégie coréenne » et ne comporte pas en effet de vraie solution sur la question concrète de la péninsule Coréenne. De plus, l’analyse de la rivalité sino-américaine est traitée de façon très manichéenne. Par exemple, l’arrivée massive de capitaux chinois au Moyen-Orient et en Afrique n’est sans doute pas à analyser comme le résultat d’une politique volontairement concurrentielle des intérêts américains. La Chine répond sans doute prioritairement à des besoins de diversification de ses marchés et de ses sources d’approvisionnement énergétique. De même, les États-Unis continuent d’avoir une influence importante sur les équilibres régionaux asiatiques, mais la relation qu’ils entretiennent avec la Chine ne peut se réduire à celle qu’ils entretenaient avec l’URSS. La relation entre Pékin et Washington est aujourd’hui beaucoup plus complexe et nécessite la prise en compte d’une dimension complémentaire coopérative, et non pas seulement antagoniste (cf. statu quo sur Taïwan).
Toutefois, cette étude permet de mettre en lumière les grands défis auxquels est confrontée actuellement l’Asie du Nord-Est. Ainsi, il est intéressant de souligner la singularité du contexte de la région qui demeure aujourd’hui caractérisée par une forte militarisation, la permanence d’importants contentieux bilatéraux (territoriaux, historiques) et l’absence de véritable structure régionale de sécurité collective. Cette situation fait du triangle Japon-Chine-Corée une des zones les plus probablement exposées à un conflit militaire majeur.
L’étude du capitaine Mun permet aussi d’entrevoir une dynamique de redéfinition des équilibres stratégiques dans la région. Cette tendance est le résultat d’un double processus : d’abord, celui de la réorientation de la stratégie américaine dans la zone – amorcée dans les années 1999 et confirmée après le 11 septembre 2001 – qui consiste en un certain désengagement de la question coréenne au profit du Japon, puis cette nouvelle dynamique est aussi un effet direct de l’affirmation de la Chine comme puissance régionale et internationale. Le rôle de la RPC est effectivement primordial dans la dynamique actuelle de rééquilibrage. Par son dynamisme économique, le pays opère une véritable intégration économique dans la région, ce qui contribue à créer une zone de stabilité entre les États. Enfin, la crise économique de l’hiver dernier tend à confirmer cette tendance : la montée en puissance d’une Chine forte et stable face à la faillite du système financier américain. On assiste donc aujourd’hui à une dynamique de recentrage des équilibres stratégiques en Asie autour de la Chine au détriment de l’influence américaine. Désormais l’Asie se présente comme une région autonome qui construit une identité stratégique propre fondée sur des dynamiques endogènes à la région. ♦