Le problème du Moyen-Orient : « Grande Syrie » ou « Croissant fertile » ?
Le 24 avril 1950, en ouvrant la session du nouveau parlement jordanien, le roi Abdallah annonçait que son gouvernement avait « décidé d’incorporer au royaume les parties de la Palestine arabe que la Jordanie administrait depuis la conclusion de son armistice avec Israël ». Le même jour, les deux chambres jordaniennes adoptaient à l’unanimité moins une voix la résolution présentée par le gouvernement, déclarant que « les territoires situés sur les deux rives du Jourdain sont et resteront unies dans le royaume hachémite de Jordanie sous le règne du roi Abdallah Ibn Hussein ». Cette annexion est-elle une étape vers la Grande Syrie ou vers le croissant fertile ? N’en est-elle, au contraire, qu’un modeste ersatz ? Les deux hypothèses sont plausibles ; mais la question touche à tant d’intérêts contradictoires qu’il est téméraire de faire des pronostics. Il n’en est pas moins intéressant de chercher à démêler les éléments essentiels du problème.
Il y a lieu, tout d’abord, de préciser la notion de Grande Syrie ou Syrie naturelle, et celle de Croissant fertile, récemment remise à la mode. La Syrie naturelle, c’est essentiellement, entre la Méditerranée et cette autre mer qu’est le désert, un isthme de 700 km de long et 150 km de large environ, s’appuyant au nord à l’Asie mineure, et, au sud, à la presqu’île du Sinaï. Géographiquement, c’est un ensemble parfaitement cohérent, à l’intérieur duquel toute division en pays ne peut être qu’artificielle. Ethniquement, historiquement, la Syrie naturelle est loin de présenter la même unité. Sur ce pont jeté entre l’Afrique et l’Europe, les conquérants venus du Nord et du Midi, ont sans cesse passé au cours des siècles. Il en est de même de ceux qui l’ont abordé par ses faces maritimes et désertiques. Brassage des populations, mélange des races et des religions en ont été l’inévitable conséquence. Les populations riveraines de la Méditerranée ont, d’autre part, toujours été attirées vers l’Occident, tandis que les riveraines du désert l’étaient vers l’Asie. Et c’est le drame de la Syrie, en appliquant ce vocable à l’ensemble du pays, d’être ainsi tiraillée en tous sens. Il n’en reste pas moins que la Syrie naturelle constitue un tout homogène, bien séparé des pays qui l’environnent : Asie mineure, Mésopotamie, Arabie, Égypte.
La notion de Croissant fertile est très différente. En plus des pays qui constituent la Grande Syrie, le Croissant fertile englobe la basse et moyenne vallée du Tigre et de l’Euphrate, c’est-à-dire l’Irak, qui de toute évidence ne fait pas partie du même ensemble géographique. Le seul caractère commun des pays du Croissant fertile, c’est, comme son nom l’indique, la fertilité. Sans doute, au cours des âges, les relations ont été extrêmement fréquentes entre la Mésopotamie et l’Isthme syrien. Il ne faut tout de même pas oublier que 700 à 800 km de désert les séparent. Qu’il y ait entre eux des affinités de race, de religion et de culture, c’est certain ; mais à l’inverse de la Syrie naturelle, le Croissant fertile ne forme pas une entité géographique.
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