Centre interarmées de concepts, de doctrine et d'expérimentations - Vers une doctrine française rénovée
Conséquence de la participation pleine et entière de la France dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), le paysage doctrinal national est en passe de connaître une profonde mutation, tant sur le fond que dans la forme.
En effet, il s’agit de construire un corpus doctrinal d’un type nouveau, fruit de la fusion du répertoire national avec celui de l’Otan, dans le but de mettre à la disposition du commandement et des officiers d’état-major une série volontairement limitée de documents parfaitement actualisés et couvrant toute la gamme des opérations susceptibles d’être conduites par nos forces.
Le Centre interarmées de concepts, de doctrine et d’expérimentations (CICDE), les centres de doctrine des trois armées et les cellules de doctrine des directions et des services sont donc chargés de la constitution de ce corpus doctrinal nouvelle formule, qui devra être achevé dès l’année 2010.
Partant du constat que, du fait de notre positionnement historique particulier, la communauté doctrinale nationale contribuait de manière limitée à la réflexion militaire alliée, le major général des armées a demandé au CICDE d’animer une réflexion de l’ensemble des organismes concernés sur les voies et les moyens d’inverser la tendance, pour associer pleinement l’Otan au développement de notre réflexion militaire. Le but est donc clairement d’investir notre matière grise dans les instances concernées pour, en retour, pouvoir bénéficier de doctrines pleinement interopérables avec celles de nos alliés.
Le changement ainsi suscité nous engage sur le long terme. En effet, il s’agit non seulement de créer et de faire vivre, à tous les niveaux, nos réseaux nationaux, mais de créer et de développer des réseaux internationaux afin d’enrichir constamment la réflexion doctrinale alliée et, chaque fois que nécessaire, de défendre au sein des instances de l’Alliance les avancées françaises en matière doctrinale. L’importance des enjeux et le caractère irréversible des décisions qui seront prises plaident pour l’application d’une politique mûrement réfléchie et ajustée, car interopérabilité ne signifie pas pour autant « standard unique » (la Commonality des Anglo-Saxons).
Ambitieuse, la réforme en cours témoigne de la volonté de travailler de manière proactive au sein d’une Alliance non plus considérée comme une organisation parmi d’autres, voire comme un organisme allogène, mais comme un pivot de notre future organisation militaire.
Nos atouts sont certains. Nous sommes d’ores et déjà des contributeurs reconnus, tant par le champ de nos participations aux groupes de réflexion militaire que par la pertinence de nos apports, qui sont adossés à une expérience fondée sur une succession d’opérations extérieures extrêmement variées et particulièrement précieuse à l’heure où l’Alliance est engagée en Afghanistan contre un adversaire aux contours mal définis.
Mais nos partenaires, en particulier américains et britanniques, espèrent de notre participation pleine et entière plus qu’un avis supplémentaire ou des contradictions de détail. Ils veulent nous voir contribuer, par la qualité de nos différents travaux, au renouvellement de la réflexion militaire alliée, à partir du modèle de l’Otan, largement anglo-saxon, mais qui est maintenant également le nôtre. La désignation d’un Français à la tête de l’Allied Command for Transformation (NATO/ACT) constitue, de ce point de vue, beaucoup plus qu’un symbole : une obligation. Reste, en effet, à investir le vaste champ séparant cette nomination de nos participations encore ponctuelles aux différents groupes de travail et autres comités.
Loin de représenter une contrainte, cette convergence des corpus nationaux et Otan constitue une occasion favorable pour simplifier notre organisation nationale et franchir une nouvelle étape dans l’émergence d’une réflexion militaire d’ensemble, qui éclaire par ses concepts et cadre par sa doctrine.
Ce travail est engagé dans une double logique de coordination d’ensemble par le CICDE et de subsidiarité dans l’élaboration des documents, chaque composante devant y porter sa culture et ses valeurs militaires. Il va se poursuivre dans deux directions : l’achèvement d’une démarche conceptuelle qui décline le développement et l’expérimentation de concepts (Concept Development & Experimentation, CD&E) de NATO/ACT ; l’adaptation de notre doctrine actuelle pour constituer un corpus doctrinal opératoire, intégrant documents nationaux et Otan dans un référentiel unique devant être enseigné comme tel, à tous les niveaux.
Cette différenciation permettant de comparer des éléments similaires, il sera plus facile de fusionner le corpus doctrinal national et celui de l’Otan, de manière à disposer d’une palette documentaire unique et complémentaire. Il s’agira donc à la fois d’assurer l’intégration des documents sans équivalents dans le corpus allié et de réduire le nombre de doublons soit par la réécriture de documents français syncrétiques, soit par abandon des documents nationaux antérieurs à un texte Otan récemment révisé avec notre concours actif.
En synthèse, la réforme proposée est à la fois ambitieuse et réalisable à court terme, à condition, toutefois, de consentir le temps et les moyens nécessaires à la partie « inventaire critique » de la documentation existante.
Si la partie « intégration » semble relativement aisée à conduire, il en va tout autrement de la partie « comparaison », susceptible de déboucher sur la traduction, en français, de certains documents aujourd’hui exclusivement disponibles en anglais et l’intégration de paragraphes nationaux explicitant nos positions. Cette remise à niveau s’appuiera idéalement sur le cycle de révision de l’Otan.
Cependant, cette tâche, certes importante et indispensable, ne doit pas brider la réflexion dans les domaines conceptuel et doctrinal, car il y va de notre crédibilité au sein des instances multinationales concernées mais aussi et surtout du maintien de notre performance opérationnelle. Pour reprendre par un slogan bien connu, cette volonté d’innovation : « Pendant les travaux, la vente (ou la production) continue ! ». ♦