Le retour des talibans
Le retour des talibans
Cet ouvrage intelligent commence par plusieurs cartes utiles, malheureusement un peu sombres, mais qui situent bien les enjeux du problème : la configuration territoriale du Pakistan ainsi que celle de l’Afghanistan.
Quelques précisions intéressantes sur le premier État. La PFNO (province de la frontière du Nord-Ouest) et les Fata (régions tribales fédéralement administrées) comptent 3 millions de Pashtounes sur les 28 millions du Pakistan (auxquelles il faut ajouter 15 millions de Pashtounes en Afghanistan). Les Fata dépendent toujours du même cadre juridique fixé par la loi de 1901 (Frontier Crimes Regulation). Malgré la partition, l’administration centrale qui est représentée par le gouverneur de la PFNA a été néanmoins conservée, en accord avec les chefs tribaux. L’auteur revient sur les épisodes de la fin de la deuxième guerre anglo-afghane en 1879 et au tracé de la ligne Durand en 1893. Notons que l’Afghanistan a refusé l’établissement du Pakistan en 1947 et revendique les territoires Fata. Daoud (premier président de la République d’Afghanistan) prétendait que son pays s’étendait jusqu’à l’Indus en absorbant le Baloutchistan, alors que le président pakistanais Zia-ul-Haq voulait étendre le Pakistan jusqu’à Kaboul. Étant donné que ces frontières n’ont jamais été reconnues, il est difficile de concevoir une ingérence éventuelle comme une réelle violation du droit international.
Habitant la plus méridionale des provinces pakistanaises au contact de l’Afghanistan, les Baloutches seraient plutôt laïcs, se rapprochant des Pashtounes contre les Pendjabis, revendiquant en particulier une meilleure part des revenus gaziers. Quatre insurrections ont eu lieu contre le pouvoir central : en 1948, en 1958-1959, en 1962-1963, et de 1973 à 1977, toutes réprimées par l’armée, elle-même dominée par les Pendjabis. À cette situation difficile, héritée du passé, se greffe désormais le problème de l’arrivée de 2 millions de Pashtounes afghans réfugiés. Les Baloutches se retrouvent ainsi minoritaires chez eux. Quetta est transformée en ville talibane alors que la région de Gwadar est confisquée à ses habitants pour la création du port. Une armée baloutche de libération s’est créée en 2003 et de grandes manifestations en 2005 ont été l’occasion d’une véritable offensive de l’armée. Depuis, la pacification est apparente, mais la haine reste réelle.
L’histoire de l’aventure nucléaire pakistanaise est brièvement évoquée. Les essais nucléaires de 1998 ont immédiatement été suivis de sanctions financières. Après les attentats du 11 septembre 2001, le président Musharraf, arrivé au pouvoir par coup d’État en 1999, doit choisir le camp américain et accepter la dénonciation du trafic nucléaire organisé par Abdul Qader Khan (AQK). Officiellement, ce trafic de prolifération était personnel, mais on imagine mal que les dirigeants du Pakistan, si même ils n’y étaient pas associés, n’en aient pas été avertis.
En plus du nucléaire, l’autre problème est celui de la drogue. L’économie de l’opium représente 3 milliards de dollars soit 60 % du PIB officiel de l’Afghanistan. L’économie de régions entières, en particulier celle du Helmand, repose sur l’opium. Outre les dégâts importants dans les pays industrialisés, les dérivés de l’opium commencent à constituer un problème local essentiel, y compris en Iran.
L’historique de l’intervention en Afghanistan est brièvement rappelé ainsi que la séparation rapide entre la Fias et la population : les taliban se substituent au gouvernement, en particulier pour rendre justice selon la charia. Il semble que l’Otan se soit engagée dans l’aventure pour se donner une raison d’exister, mais n’a ni les moyens, ni la solidarité, ni l’appui des civils nécessaires pour réussir. L’auteur rappelle la vie politique pakistanaise de ces dernières années, avec la réélection du président Musharraf, le retour de Benazir Bhutto et son assassinat le 27 décembre 2007, les efforts de la Cour suprême pour invalider le président Musharraf, sa démission le 18 août 2008 ainsi que l’organisation des nouvelles élections. Depuis l’écriture du livre, les récents sondages, en montrant le peu de popularité du président Zardari, veuf de Benazir Bhutto, donnent totalement raison à l’ouvrage. La question de l’Afghanistan et du Pakistan a d’ailleurs fait tomber plusieurs gouvernements engagés dans l’aventure afghane : à Rome, Romano Prodi en février 2007, rétabli mais resté fragile ; à Tokyo, Shinzo Abe en septembre 2007.
L’auteur dénonce les tensions en Afghanistan entre forces nationales dans l’Otan dont les missions et les contraintes d’emploi sont différentes. Rappelons la mort de 10 soldats français, à proximité de Kaboul, le 18 août 2008, et les blessures de 21 autres. Dans les Fata, les taliban reprennent toutes les positions de l’armée et assument les fonctions régaliennes. Les attentats de Bombay ont fait 170 morts du 26 au 29 novembre 2008. Tous les terroristes étaient des Pakistanais du Lashkar-i-Taiba. Les infiltrations de terroristes pakistanais ont aussi repris au Cachemire. Cependant, de nombreuses attaques américaines ciblées grâce aux renseignements ont permis d’abattre plusieurs chefs taliban.
En 2008, l’Irak a coûté 12,5 milliards de dollars par mois, et l’Afghanistan 3,5 milliards par mois, aux seuls États-Unis, sans compter les dépenses des autres nations. La saignée financière dépasse donc celle de la guerre du Vietnam et repose sur un financement basé sur l’endettement et non pas sur l’impôt. La situation financière constitue donc la menace constante d’une crise. Problème supplémentaire : « l’Ouzbékistan est un baril de poudre » et toute l’Asie du centre risquerait de s’embraser.
L’ouvrage, souvent engagé dans sa critique, est clair. En rappelant les données historiques et sociologiques, il concourt, au moins, à faire connaître les hypothèses de départ pour réfléchir aux stratégies possibles d’évolution.