Le futur climatique de la planète est connu. Aussi la surprise stratégique comme phénomène naturel de la construction de l'Histoire, ne pourra pas être l'échappatoire du système de veille stratégique quand le monde sera le lieu d'une méta-guerre généralisée issue des dérèglements climatiques et des migrations de survie conséquentes. Historiquement, c'est sans doute la première fois que la paix et la guerre sont dans la main du peuple et non du Prince, et que la guerre si elle survient sera d'abord une guerre entre populations.
La guerre qui vient
The coming conflict
The world’s climatic future is known. The natural phenomenon of strategic surprise in historical events will no longer be acceptable as an excuse for the absence of a proper monitoring system when the world finds itself in the middle of a catastrophe caused by climate change, and consequent mass migrations of people bent on survival. Historically, this is doubtless the first time that peace or war will depend on the people rather than their rulers, and that war (if it comes) will be primarily a war between populations.
Le temps du monde fini commence. Ce sont ces mots de Paul Valéry qui me sont revenus à l’esprit lorsque nous parvenaient les dernières péripéties de la conférence de Copenhague. Jamais un poète et philosophe n’aura trouvé de mots aussi justes pour resituer l’humanité sur ses dernières perspectives. Nous savons à présent que « nos civilisations sont mortelles » et la science, récemment, nous en a donné les bornes, mais nous continuons dans une obstination pathologique à croire que la mort tombera sur les autres, alors même que nous sommes seuls dans l’univers ! Cette échéance hyperthermique assurée de 2050 n’empêche pas les États en pleine confusion de camper sur leurs dérisoires prérogatives, donnant raison à Disraeli qui résumait excellemment la Géopolitique avant son existence officielle par l’une de ses fulgurances : « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Il est à craindre que le court terme comme horizon de la politique soit aussi létal que la cécité ; nos intérêts de survie sont aussi celui de notre alter, mais notre principal outil onusien de gouvernance mondiale est toujours crispé sur son égoïsme originel alors que d’évidence la somme des égoïsmes nationaux ne fera jamais l’altruisme mondial.
Un chemin mal pavé, les guerres du climat
Mais jusqu’à cette apocalypse des malgré-nous, jusqu’à cet oméga que nous sommes toujours susceptibles de pouvoir repousser, le chemin risque d’être pavé de sanglants et tragiques événements. Comment imaginer que nos turpitudes environnementales et nos agressions féroces contre la planète ne nous conduiront pas prochainement à ce que l’on peut nommer les guerres du climat ? Quand les exigences de la survie, les souffrances de la faim, de la soif, du froid et du chaud pousseront les foules faméliques du Sud à quitter leur habitat pour les bulles de prospérité du Nord, quand les populations des zones désertifiées ou inondées du Nord migreront vers ces mêmes bulles résiduelles du Nord, les frontières historiques perdront de facto toute légitimité. Nous y sommes presque. Qui rejettera à la mer les îliens des Tuvalu s’ils se présentent au beachage sur un territoire voisin du Pacifique ? Mais quand les migrations prendront les dimensions massives, quand les horizons de Lampedusa, de Samos ou d’Almeria par exemple, seront couverts de boat-peoples, quand les frontières terrestres seront traversées par des foules déterminées à survivre, aucun État ne pourra contrer ces flux en déléguant la défense de l’intégrité de son territoire national à une force spécialisée ou en menaçant ces miséreux des foudres nucléaires !
Entre l’ensauvagement et les sursauts du rationnel
Puisque les intérêts des uns ne seront pas les intérêts des autres et la survie ne se partageant pas, les peuples des pays envahis s’opposeront par la violence aux peuples envahisseurs et nos guerres s’inscriront dans le premier volet de la trinité clausewitzienne, celui « des forces irrationnelles et des pulsions aveugles, de la haine et de l’animosité ». Nous serons dans la confrontation des égoïsmes ontologiques, dans le retour du sauvage. Et nous connaîtrons la pire des situations conflictuelles, celle qui voit s’opposer les populations contre les populations, pour un objectif de survie. Nous connaîtrons, l’oekoumeno-polemos, pardon pour ce néologisme osé et approximatif, c’est-à-dire la guerre partout, une guerre mondiale civile, une guerre des peuples distribuée, sans avant, sans arrière, une lutte des indigènes des pays gras du Nord contre les migrants des pays pauvres, ex-émergents, qui fuient pour certains, l’immersion, les autres, la désertification, mais tous une mort certaine.
Ainsi notre « machin onusien » inadapté, comme l’a montré Copenhague, aura permis de faire dangereusement prospérer en quelques décennies une machine infernale d’une entropie apocalyptique. Mais entre-temps nous pouvons espérer quelques bouffées de sagesse, par exemple en réhabilitant partiellement Malthus ou en acceptant de considérer que le progrès n’est pas toujours devant nous, que la nouveauté technologique n’est pas nécessairement le graal ! En considérant aussi que Rousseau doit laisser définitivement la place à Hobbes, car il est à présent déraisonnable de croire que 194 États peuvent gérer au nom de tous, dans l’intérêt de tous, en respectant une éthique transnationale, l’organisation onusienne, cette nouvelle cour du roi Pétaud.
La guerre qui vient est de nature post-civilisationnelle, l’éviter ressortit à un sursaut civilisationnel et principalement à la maîtrise, prônée par Malthus, du rapport entre la population et la production, mais la gagner, cette guerre, nécessite aussi un changement de paradigme stratégique. Car il s’agira d’une méta-guerre, c’est-à-dire d’une guerre dans laquelle les citoyens des pays-parcelles privilégiés, confrontés à des vagues massives de migrants, ne pourront plus déléguer aux seuls soldats, spécialistes de la violence légitime, la défense de leurs intérêts, mais devront prendre leur sécurité définitivement et entièrement à leur compte. Par un retour au concept de la nation en armes ou du Landsturm, pour rappeler Clausewitz.
Mais cette problématique est tellement exceptionnelle de nouveauté, de gravité, d’incertitude, de contradiction, de violence et le rapport avec la mort de masse est tellement individualisé que ce sujet bouleverse le concept même de la guerre comme continuation de la politique.
Et ce n’est pas faire dans l’hyperbole que d’affirmer que ce chantier du présent est le chantier du futur de l’humanité. Et si le GIEC a raison, s’il a posé le vrai diagnostic du dérèglement anthropique du climat, alors nous sommes désespérément dans l’orwellien, car gagner, c’est perdre. Et vivre, c’est mourir ! Bonnes prochaines années à tous… ♦