Editorial
Éditorial
Plusieurs intervenants étrangers dans ce numéro de mai permettent d’ouvrir ou de prolonger avec autorité des débats stratégiques d’ampleur : la question de la sécurité alimentaire, cruciale pour un milliard d’affamés, celle de l’architecture européenne de sécurité vue de Moscou, ou celle de la vision stratégique commune de Londres et de Paris (voir le « Forum », www.defnat.com), l’équation stratégique du Proche-Orient et ses évolutions… Autant d’enjeux qui caractérisent la conflictualité latente de notre planète d’incertitude et d’ambiguïtés, comme la qualifiait Pierre Hassner dans le numéro précédent.
Le thème qui ouvre ce numéro est celui des règles d’engagement, des règles de comportement dans l’action, et chacun voit que les combats sont de plus en plus durs et meurtriers. Certains y décèlent le retour de la guerre dans le champ militaire. Gardons-nous de cette qualification imprudente importée de la réflexion sur la GWOT (Global War on Terrorism). En cherchant à traduire l’intensité et la radicalité des actions militaires actuelles, elle se réfère implicitement à un champ politique, juridique, psychologique et budgétaire de mobilisation générale du pays daté et bien différent des temps actuels. Cette assimilation hasardeuse n’aide pas nos concitoyens, nos élus et nos élites à comprendre la nature des combats qu’il faut désormais conduire dans des conflits armés dont la complexité est décrite dans ce numéro. Une autre remarque vient à l’esprit dans l’exposé de ces règles qui encadrent le combat ; ne sont-elles pas un « mol oreiller », un frein à l’initiative tactique, un chemin vers la moindre responsabilité, le prix excessif que doit payer l’efficacité militaire à la légitimité politique ? Et l’on se souviendra des réflexions de Foch à cet égard : « Être discipliné ne veut pas dire qu’on exécute les ordres reçus seulement dans la mesure qui paraît convenable, juste, rationnelle, ou possible, mais bien qu’on entre franchement dans la pensée, dans les vues du chef qui a ordonné, et qu’on prend tous les moyens humainement praticables pour lui donner satisfaction. Être discipliné ne veut pas dire encore se taire, s’abstenir, ou ne faire que ce que l’on croit pouvoir entreprendre sans se compromettre, l’art d’éviter les responsabilités, mais bien AGIR dans le sens des ordres reçus, et pour cela trouver dans son esprit, par la recherche, par la réflexion, la possibilité de réaliser ces ordres ; dans son caractère, l’énergie d’assurer les risques qu’en comporte l’exécution. En haut lieu, discipline égale donc activité de l’esprit, mise en œuvre du caractère. La paresse de l’esprit mène à l’indiscipline comme l’insubordination » (1). Des réflexions inspirées, occultées en mai 1940, période sombre dont on célèbre la mémoire avec un regard neuf qui met la technicité et la ténacité françaises à une plus juste place.
L’autre thème développé est celui de la Méditerranée et du Proche-Orient. Le tour d’horizon stratégique qui vous est proposé permet de regarder la situation actuelle avec des clés nouvelles ; et le forum de la RDN complète cette analyse en la raccordant à la question des confins orientaux de l’Europe traitée le mois dernier. Comme toujours opinions variées, repères et rapports divers, recensions circonstanciées ponctuent ce numéro et ouvrent l’angle du débat stratégique français. Merci à l’apport remarqué de la promotion Maréchal Lyautey du Collège interarmées de Défense (CID).
Notez notre assemblée générale le 15 juin à l’École militaire ; nous vous y attendons pour débattre de notre ligne éditoriale et mettre l’avenir en perspective stratégique.
(1) Des principes de la guerre, Paris, Berger-Levrault et Cie, 1903 ; « Discipline intellectuelle… », p. 94/96 et 266.