Les crises actuelles exigent des réponses complexes : militaires, politiques, humanitaires, économiques. La réorganisation des armées offre une belle occasion de créer une structure de gestion globale des conflits, inspirée du Centre de crise du Quai d’Orsay.
Le Centre de crise du Quai d'Orsay
The Quai d’Orsay Crisis Centre
Current crises demand complex responses: military, political, humanitarian, and economic. Reorganisation of the Armed Forces offers a good opportunity to create a global conflict management structure, on the lines of the Quai d’Orsay Crisis Centre.
Le Centre de crise (CDC) du ministère des Affaires étrangères et européennes (MINAEE) est créé le 2 juillet 2008. De l’évacuation de ressortissants français à l’assistance aux victimes de catastrophes naturelles, son activité est d’emblée intense, diversifiée… et efficace. Cela tient à son aptitude à obtenir une réelle synergie entre les acteurs nombreux et variés dont le concours est nécessaire à la gestion d’une crise : institutions françaises, étrangères et internationales, organisations non-gouvernementales (ONG). Cette approche globale des opérations est partagée par les forces armées françaises et déjà mise en œuvre à son niveau, avec ses moyens propres. Ainsi, dans un théâtre d’opérations, des actions civilo-militaires peuvent accompagner des opérations coercitives.
Pourtant, la gestion réellement globale d’une crise impliquerait de coordonner l’action de l’ensemble des intervenants spécialistes chacun d’un domaine, et ceci au sein d’une enceinte dédiée. La structure interministérielle du CDC offre un excellent modèle, transposable à la planification et la conduite des opérations militaires en un centre analogue placé auprès de l’état-major des armées (EMA). Il coordonnerait sur une base permanente les dimensions politique, économique, humanitaire et sécuritaire des opérations dans lesquelles la France est impliquée militairement.
Le fondement d’une telle proposition repose sur le fait que l’intervention de nos armées à l’extérieur, au cœur d’une société souvent déstabilisée, ne peut aujourd’hui s’achever que lors du retour au fonctionnement stabilisé de cette dernière. Cet objectif ultime implique d’agir dans tous les domaines de la vie sociale, mais en priorité de répondre aux besoins fondamentaux liés à la survie de l’individu, fondements de l’édifice sociétal comme l’explique Abraham Maslow. La réponse est donc d’ordre militaire, jusqu’à l’atteinte d’un niveau de sécurité relevant du simple maintien de l’ordre public. Mais concurremment, à chaque phase de ce processus, d’autres besoins que la sécurité exigent d’être satisfaits, au premier rang desquels les besoins physiologiques. Sont ainsi conduites simultanément et par des acteurs divers des opérations dans des domaines très variés : réduction par la force des oppositions belliqueuses, soutien alimentaire et sanitaire aux populations, mais aussi restauration des infrastructures de communication, voire maintien du tissu social passant par la scolarisation des enfants… Cela oblige à penser la gestion des crises et conflits de façon globale, en planification comme en conduite des opérations. L’essentiel est alors de coordonner au mieux l’action des divers acteurs impliqués, civils ou militaires, ou a minima d’éviter tout antagonisme. Une telle démarche exige évidemment de prendre en considération les intérêts particuliers de chacun (tels que la visibilité internationale, essentielle pour des organisations dont l’existence dépend des financements extérieurs).
Cette capacité de coordination, atout majeur du CDC du Quai d’Orsay, est donc tout aussi nécessaire à la conduite des opérations extérieures. La prochaine constitution d’un Hexagone à Balard offre une occasion unique de concrétiser ce principe en adossant au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) de l’EMA un Centre interministériel de gestion des crises extérieures (CIGeC). L’objet n’est pas de concurrencer le CDC, même si son activité en était affectée. En effet, les opérations impliquant des moyens militaires, telles que l’évacuation des ressortissants français en Géorgie conduite en 2008, ressortiraient désormais au CIGeC. Laissant au CDC le soin de poursuivre sa mission de gestion des situations individuelles, il s’occuperait des situations plus complexes, s’appuyant sur l’expérience de planification et de déploiement opérationnels des armées. Au-delà, ce centre aurait aussi vocation à planifier par anticipation la réaction coordonnée des moyens susceptibles d’être mis en œuvre en réponse à toutes les crises envisageables, de la catastrophe naturelle au conflit armé.
En termes d’organisation, l’ossature à parité militaro-diplomatique de ce CIGeC serait renforcée de représentants des ministères et institutions habituellement intéressés à l’action sur les théâtres extérieurs pour ce qui touche à l’État de droit et la reconstruction. Le déclenchement d’une crise amènerait l’agrégation d’effectifs supplémentaires ainsi que d’autres intervenants (organisations internationales, ONG…). À cette fin, la teinte fortement diplomatique du CIGeC serait essentielle pour la légitimité qu’elle confère en matière de coordination avec les autres pays européens, les agences onusiennes et les ONG.
Un CIGeC permettrait enfin de pallier la connaissance mutuelle encore insuffisante entre les différents acteurs, institutionnels ou non, français et étrangers et surtout entre mondes militaire et diplomatique. De plus, la valeur d’une telle structure serait aussi symbolique : les acteurs sur le terrain y trouveraient le fondement de la coopération ou au moins du dialogue.
Porteur d’une vision d’ensemble et facteur de cohérence, un CIGeC adossé à l’EMA constituerait donc une réelle avancée dans la gestion globale des crises et conflits, notamment en ce qu’il assurerait une bonne prise en compte des problématiques de sortie de crise dès avant le lancement d’une opération. ♦