Les conflits déréglés que conduisent les coalitions multinationales aujourd’hui exigent des règles précises pour conjuguer les exigences tactiques, politiques et médiatiques. Plus qu’un cadre contraignant, elles sont une préparation nécessaire à l’action militaire.
Règles d'engagement : des règles irrégulières
Rules of engagement: irregular rules
The irregular conflicts that multinational coalitions conduct today require clear rules in order to harmonise tactical, political and media demands. More than a restrictive framework, they are a crucial basis for military action.
Il y a deux ou trois lustres, la préparation de la guerre s’appuyait sur des règlements et des consignes connus dès le temps de paix, et assez simples pour être compris de chacun : pensez ! Un temps où il y avait encore des appelés, où la dissuasion s’exerçait du Famas au SNLE et où l’on préparait la guerre contre le Soviet… En ce temps-là, donc, les choses n’étaient pas compliquées. Le soldat recevait des consignes d’ouverture du feu, qu’on désignait sur le terrain : « à partir de telle ligne entre tel arbre et tel carrefour, ligne d’ouverture du feu ». Le chef (de groupe, de peloton, de section…) définissait la ligne suivant la portée de l’arme principale, 150 mètres s’il s’agissait d’un fusil de fantassin, 1 100 mètres s’il s’agissait d’un char. Le feu constituait l’essence de la bataille. Tout le reste (manœuvres, déceptions, marches et contre-marches, appuis, préparation du terrain…) ne servait qu’à organiser ce moment où le feu s’échangerait entre les deux parties, pardon, les deux ennemis. La règle d’ouverture du feu était le moyen, pour la hiérarchie militaire, de contrôler la troupe, et la plus grande difficulté consistait à maîtriser la « discipline du feu ». La règle d’ouverture du feu faisait office de grammaire principale de la tactique.
Les choses commencèrent à changer dans les années 90, sous les auspices onusiens puis otaniens, dans les opérations de maintien de la paix organisées dans les Balkans. Mauvaise perception d’un vocabulaire anglo-saxon peu connu ? Tartufferie refusant le mot de « feu » dans des opérations « regrettablement » militaires ? Toujours est-il que les troupes françaises adoptèrent, à l’époque, le vocable de « règle d’engagement » (rules of engagement), qu’on comprit un peu hâtivement comme l’équivalent de notre règle d’ouverture du feu, simplification d’autant plus surprenante à l’époque que ces règles ne servaient pas, justement, à ouvrir le feu, mais en fait à l’inhiber. Les choses commencèrent de changer avec le Kosovo (la généralisation du ciblage), mais surtout avec l’Afghanistan. Au point que chacun parle aujourd’hui des règles d’engagement sans qu’il y ait de doctrine claire à leur égard, ni même qu’il y ait accord sur leur rôle effectif. Pourtant, elles doivent être suffisamment contraignantes pour que régulièrement des voix s’élèvent pour dénoncer les caveats, ces restrictions nationales à l’emploi de troupes placées dans le cadre de coalitions.
C’est pourquoi il paraît nécessaire de faire un peu le ménage, et réfléchir à ces règles qui ne paraissent pas si « réglo » que ça : pour tout dire, elles semblent foncièrement irrégulières : mais est-ce un hasard ?
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