L’équipe du CSFRS expose dans cette tribune son analyse de la conflictualité à venir et montre l’intérêt du travail prospectif de décèlement précoce des repères et périls, des défis et des vulnérabilités. Elle exprime ainsi le rôle de vigie du CSFRS.
Préambule - Les Assises nationales de la recherche stratégique
National foundations of strategic research
In this forum the team from the Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique (CSFRS—Higher Council for Training and Strategic Research) presents its analysis of future possible conflicts and demonstrates the advantages of trend analysis and the early identification of indicators and dangers, challenges and vulnerabilities. It explains the CSFRS’s early warning role.
Le 24 juin prochain, se tiendront à l’École militaire les « Assises nationales de la recherche stratégique ». Organisée par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS) en partenariat avec l’IHEDN et l’INHESJ dont l’évolution au cours des deux dernières années est étroitement liée à la mise en place du CSFRS, cette première manifestation veut répondre aux attentes en matière de défense et de sécurité et illustrer l’approche spécifique du CSFRS.
La mission du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques s’exprime simplement : éviter à la France un « choc stratégique » et plus généralement développer une culture stratégique. Face aux risques émergents, le CSFRS doit agir avec ses partenaires en vigie : mutualisant compétences et moyens, il doit soutenir et rassembler ceux qui regardent en avant, discernent, puis signalent avec expertise ce qui leur semble périlleux, en vue d’optimiser la perception des risques et périls, des défis et opportunités.
Dans un monde chaotique et fragmenté, une nation souveraine – et voulant le rester – ne peut en effet se borner au rétrospectif. Elle ne peut compter sur les précédents, us et coutumes, règles et protocoles, pour simplement riposter. Réagir, c’est déjà être en retard. Constamment, une nation stratège doit pouvoir prévoir, anticiper, devancer, éviter, prévenir ; cette obligation nouvelle d’agilité exige que cette nation dans ses composantes (l’État mais aussi le monde de la recherche, l’économie) soit avertie à temps de ce qui l’avantage ou à l’inverse, la menace réellement.
La libéralisation commerciale et financière, l’innovation technologique et le développement des communications fabriquent des interdépendances et constituent une géographie nouvelle de territoires réels et virtuels organisés autour de mégalopoles, de clusters, de communautés à la fois infra et multinationales. Mais dans le même temps, ils fabriquent aussi des exclus dont la mondialisation accroît la dépossession et l’impuissance. Ces décalages sont porteurs de dangers : émeutes de la faim, migrations économiques, instabilités politiques, conflits locaux pour le partage des ressources, revendications identitaires ou religieuses, développement incontrôlable d’une véritable économie criminelle. Ainsi en entrecroisant les intérêts à distance et en limitant les tensions au niveau mondial, la globalisation a pu les renforcer à d’autres niveaux.
Sur la période 2010-2030, ces deux facteurs vont se combiner. La crise financière actuelle, en ralentissant les échanges mondiaux et en bouleversant nos équilibres économiques et sociaux, ramène les États dans le jeu des économies nationales comme prêteur, investisseur, régulateur. Elle a également relancé la coopération et renforcé certaines institutions internationales interétatiques, formelles et informelles. Mais à terme, le différentiel des taux de croissance peut permettre à certains pays de défier la puissance des anciens « grands » comme de leurs rivaux.
Dans d’autres domaines, une escalade militaire non contrôlée à partir d’un conflit local, la recherche dans une aventure extérieure d’un dérivatif à des tensions internes, la perception exacte ou fausse d’un avantage technologique décisif pourraient ensemble ou séparément aboutir à des déflagrations majeures.
La dimension européenne est essentielle à notre réflexion : avec nos partenaires européens nous partageons une culture et un destin, un mode de pensée et d’appréhension du monde, des outils (un marché unique, une monnaie, des politiques communes). C’est donc avec eux que nous devons partager nos analyses et les réorienter vers le futur, et que nous appliquerons des solutions possibles.
Concrètement, à horizon maîtrisable, quels sont les périls vraisemblables, les défis qui se présentent devant nous ?
Tentons un survol, valant pronostic, des incertitudes stratégiques majeures : nous pouvons être privés d’un pan de notre indépendance nationale ; nous pouvons subir une attaque terroriste ou une grave agression d’origine criminelle ; nous pouvons, au niveau national ou européen, perdre une course technologique cruciale ; nous pouvons devoir affronter de nouveau de graves crises économiques ou financières, l’actualité nous le montre ; de graves crises peuvent se présenter dans un domaine civil stratégique (énergie, industrie, etc.) ; peuvent également se produire des phénomènes de délitement de la société ou des micro-chocs (migrations irrégulières, ségrégation urbaine, travail clandestin, effets de la crise économique) ; nous pouvons avoir à gérer une catastrophe naturelle. Le drame d’Haïti, les péripéties du nuage volcanique islandais, la marée noire dans le golfe du Mexique montrent que les phénomènes naturels peuvent bouleverser, parfois dramatiquement et durablement, les projets humains.
Ces risques ne sont bien sûr pas les seuls mais ensemble, ils déterminent un environnement périlleux, un champ des dangers plausibles à parcourir et scruter, dans un esprit de détection et d’anticipation.
Loin de tout angoissant alarmisme, ces risques sont le réel quotidien d’un pays moderne, technologiquement complexe, chaîne aux maillons toujours plus nombreux tenant chacun à l’autre, immergé dans un monde en réseaux, dépendant par essence de la qualité et de l’efficacité de ceux-ci.
Deux critères doivent déclencher l’alerte : la nature à la fois réelle et émergente du phénomène périlleux, de ce qui est déjà là comme indiscutable germe et exige l’attention, puis la prévention experte.
Il s’agit d’une tâche désormais cruciale, car ces dernières années, malgré les fortunes dépensées – 70 milliards de dollars par an aux seuls États-Unis – le renseignement, toujours plus dépendant de technologies substituant la compilation à l’analyse, n’a pu, n’a su, le plus souvent, nommer, prévoir, repérer à temps les désastres et dangers majeurs provoqués par une autre « mondialisation », celle dont les médias rappellent rarement la réalité (criminalité transnationale, cybercrime, etc.).
Ambition et mission des Assises
Le CSFRS est un concept original, mutualisateur de l’effort public et privé (État, universités, entreprises de taille mondiale), mais surtout mosaïque ordonnée de savoirs anticipatifs. Aux antipodes de toute querelle de bornage et dans la claire perspective du décèlement précoce, il agira dans le registre conceptuel : lancer des recherches, soutenir l’université et les centres privés, financer des études, intégrer des savoirs, favoriser de nouvelles approches en recherche stratégique, suggérer des thématiques de formation : tels sont ses moyens d’action, avec pour but d’anticiper, alerter, informer, prévenir, et si possible prévoir à temps.
Les Assises du 24 juin permettront d’illustrer l’approche propre au CSFRS. L’association de l’IHEDN et de l’INHESJ tant dans l’organisation que dans la participation aux ateliers, est la démonstration de la démarche multi et interdisciplinaire, de la fédération des énergies, qui inspirent ces trois organismes, suite aux constatations du rapport « déceler-étudier-former » remis au président de la République et au Premier ministre le 20 mars 2008.
La séance plénière de la matinée déclinera cette approche autour de trois thématiques : les nouvelles menaces, la défense, l’économie. Des ateliers thématiques organisés l’après-midi exploreront, dans une approche plus concrète, et en donnant la parole à de jeunes chercheurs, quelques-uns des enjeux de la recherche stratégique (nouvelles vulnérabilités des NTIC, nouveaux enjeux de la défense, sécurité et état de droit, neurosciences et gestion des crises). Des invités de marque sont attendus. ♦