Y a-t-il une « doctrine » Rogers ? C’est la question à laquelle va répondre l'auteur en analysant les nombreuses déclarations faites par l’actuel commandant suprême en Europe (SACEUR). Ce que l’on sait, c’est la conception que le général Rogers a de la « flexible response » qui, pour lui, repose sur l’incertitude qui règne dans l’esprit de l’agresseur potentiel sur la riposte à son agression : défense directe pour repousser une attaque ou placer le fardeau de l’escalade sur l’ennemi, escalade délibérée de l’Otan, riposte nucléaire générale. Ce que l’on sait également, c’est que le général Rogers propose aux pays de l’Otan d’augmenter de 4 % par an, en termes réels, pendant six ans, leurs budgets de défense, le but étant d’augmenter leurs forces conventionnelles afin d’élever le seuil d’emploi des armes nucléaires d’où le terme de « no early use ». Cette augmentation va d’ailleurs de pair avec un nouveau concept d’emploi des forces américaines appelé « airland battle » dont nous rendrons compte dans un article ultérieur.
Le général Rogers, l'Amérique et l'Europe
Le général Bernard W. Rogers, commandant suprême allié en Europe depuis juin 1979, a beaucoup parlé et écrit ces derniers temps. Les commentaires, aussi, ont été bon train. Notre ministre de la Défense a reproché au général de dévoiler « les incertitudes américaines » et de « ne dire que la moitié des choses ». Sans doute est-ce pour répondre à ce reproche que le général a accordé au journal Le Monde un entretien récent. L’affaire est d’importance, puisque se met ainsi en avant et est ainsi mis en cause le chef militaire américain le plus directement engagé dans la préparation de l’action de guerre, dans le cadre de l’OTAN. Il convient donc d’y aller voir de près (1).
Le général Rogers ne s’exprime certes pas avec la sérénité du chercheur. Il veut convaincre, s’adressant à trois catégories d’interlocuteurs-adversaires : les citoyens des nations alliées, leurs dirigeants, les « stratégistes » américains tenant de nouvelles stratégies. Mais après avoir stigmatisé les erreurs, les excès, voire les malveillances des uns et des autres, le rhétoricien se change en dialecticien et reconnaît la nécessité d’une réflexion renouvelée sur la stratégie de l’alliance. Il propose non de changer cette stratégie, mais au contraire de l’établir, enfin et pour la première fois, dans sa vérité originelle. Bien sûr, il parle de la « flexible response ». Ainsi, partant d’une crise de nature psychologique, sinon émotionnelle, il répond aux inquiets, aux errants, aux malveillants, mais il en vient à cerner une crise vraie, concrète, qui affecte la stratégie de l’OTAN et les moyens de sa mise en œuvre.
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