Les limites de la guerre limitée
Si, par un prodige dont notre époque n’est plus capable, nous retrouvions, là-haut sur son petit nuage, le combattant qui vient d’être tué dans une guerre « limitée » et lui demandions tout à trac : « Alors l’ami ! que pensez-vous de la guerre limitée serions sans doute assez mal accueillis. Pour le combattant il n’est pas de guerre plus totale que celle où il se fait tuer.
Ceci n’est pas qu’une boutade. Le soldat, mort potentiel, doit ressentir comme une grave offense qu’on le fasse mourir − ou tuer, c’est tout un − pour une cause que ses dirigeants estiment limitée. Et en effet il est bien rare qu’un souverain, que ce soit Mme Thatcher aux Malouines ou le roi Hassan II au Sahara, reconnaisse qu’il mène une guerre limitée. Bien au contraire il le cache soigneusement et exalte toujours « la cause ». On pourrait ajouter que cet aspect très choquant pour l’exécutant de la guerre limitée pousse à l’engagement dans de tels conflits des seuls soldats de métier, insensibles par profession. Réciproquement l’engagement des seules troupes de métier signe la guerre limitée, le recours aux conscrits valant présomption de guerre totale. Exemple à méditer : l’armée française en Indochine et l’armée française en Algérie.
Mais il nous faut dépasser cette observation d’apparence sentimentale pour regarder froidement la question qu’on nous propose : « la guerre limitée est-elle efficace ? ». C’est une question tout à fait, clausewitzienne. Clausewitz, on le sait, est le premier en Occident à avoir raisonné la guerre en ces termes, à avoir, selon le beau titre de Raymond Aron, « pensé la guerre » (1). On se rappellera que pour lui la guerre limitée, qu’il nomme d’ailleurs la guerre « sans décision », est une absurdité. Mais une absurdité théorique car, dit-il à peu près, les « frictions » de la réalité maintiendront longtemps encore la guerre en deçà de sa vérité absolue… si bien que Clausewitz laisse la question entière.
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