La défense du territoire
Depuis 1940, les fronts n’ont pas bonne presse en France. On leur reproche d’aboutir à un étirement des forces disponibles en un dispositif linéaire qu’il est facile à l’ennemi de crever au jour et au point qu’il a choisis, surtout s’il est abondamment pourvu de chars et d’avions. On préconise souvent de substituer aux lignes de défense des dispositifs « en profondeur » barrant des « axes » principaux et couverts par des « rideaux légers ». Il est à craindre que toute cette géométrie ne nous mène pas très loin. Les « rideaux » destinés à assurer la liberté de manœuvre des masses réservées en les couvrant sur tous leurs flancs vulnérables risqueront fort d’avoir une étendue et une minceur incompatibles avec leur mission. Le souci de les étoffer conduira finalement à les établir sur des positions naturellement avantageuses améliorées par la fortification et liées les unes aux autres en une chaîne continue aussi courte que possible.
On s’apercevra, en un mot, que les fronts restent le moyen coûteux mais inéluctable d’assurer la sécurité de toutes manœuvres offensive ou défensive, que, depuis 1940, aussi bien en Libye qu’en Russie et en Allemagne, il y a toujours eu des fronts et que chaque fois que s’est produite une de ces situations confuses que les Français appellent « guerre de mouvement » et les Anglais « batailles de chiens », l’idée fixe d’au moins un des adversaires était de reconstituer un front au plus tôt. C’est sans doute pour avoir oublié la nécessité des fronts que l’Armée de l’O. N. U., engagée pourtant dans des opérations offensives, disposant de chars nombreux et possédant la maîtrise de l’air, vient de frôler le désastre en Corée. En Europe, comme partout, le problème n’est pas d’éluder l’obligation de constituer un front, mais d’en assurer la défense sans sacrifier les réserves stratégiques qu’il reste indispensable de rassembler sur ses arrières.
La façon de défendre les fronts n’a malheureusement pas varié depuis de longues années : c’est de les garnir de divisions d’infanterie à raison d’une en moyenne par tranche de 10 kilomètres. Le front qui, passant à l’est du Rhin, s’étendrait de la Mer du Nord jusqu’au voisinage de la frontière suisse, aurait une longueur d’environ 800 kilomètres. C’est donc 80 divisions d’infanterie qu’il faudrait consacrer à sa défense. En réalité il en faudrait davantage si l’on tient compte des divisions à tenir en réserve, pour les colmatages, les contre-attaques, la protection des arrières et le jalonnement éventuel des lignes de repli. On peut donc admettre que le nombre de divisions d’infanterie à consacrer à la défense du front de l’Est excède probablement la centaine. Tant que cette densité ne pourra être réalisée, l’Armée occidentale n’aura que la ressource provisoire de colmater les brèches, avec ses rares divisions blindées comme le firent les Allemands en Normandie, ou encore de battre en retraite jusqu’à ce qu’elle rencontre une presqu’île dont la défense corresponde au prix qu’elle veut y mettre.
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